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LA DOUBLE MAÎTRESSE

Le feu comte y avait rassemblé un grand nombre de toutes sortes de livres, beaucoup en langue latine et grecque, et le tout fortement relié en solide peau de veau et portant aux plats l’écusson de leur possesseur, car le bonhomme s’occupait davantage de leur parure que de leur contenu et ne les considérait que comme l’attribut d’un bon gentilhomme, au même titre que ses manchettes, ses boucles de souliers, sa canne et son carrosse. Il n’aurait pas plus souffert que son château de Pont-aux-Belles manquât de caves que de bibliothèque, seulement il puisait plus volontiers aux unes qu’à l’autre. Aussi n’eut-il de cesse de voir sa librairie considérable et en accord avec le train de sa maison et l’importance de toute sa personne. Il y venait chaque jour dans l’après-midi.

L’été surtout, le comte goûtait les avantages du lieu, car la pièce était fraîche et silencieuse. Il s’asseyait dans un grand fauteuil de cuir cordouan, devant une table chargée d’une lourde écritoire d’argent massif, pourvue de poudres de toutes les couleurs et de plumes d’oie qu’il taillait avec soin. La plupart du temps, il en restait là. Quelquefois il se penchait, prenait une large feuille de papier et, posément, y écrivait son nom, soignant le caractère et le paraphe, le compliquant et l’enjolivant jusqu’à en faire une sorte d’arabesque inextricable dont il laissait sécher les entrelacs.

Plus souvent encore, il croisait sa jambe droite sur sa gauche, posait sa tabatière sur la table, choisissait une des mouches qui volaient autour de lui et la suivait attentivement des yeux jusqu’à