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LA DOUBLE MAÎTRESSE

portait un vieil habit chamois rapiécé, de longues guêtres et des galoches à gros clous. Avec cela une barbe de trois jours.

Le plus souvent on le trouvait, la carnassière au côté et le fusil à la main, car il se distrayait à abattre les pies et les corneilles en attendant les grandes chasses d’automne où il découplait sa meute qui parfois faisait l’hallali jusque sur les terres de Pont-aux-Belles.

Ce train ne plaisait guère à Mme de Galandot, soucieuse du bon état de ses champs, dont elle n’osait pas refuser l’entrée à M. d’Estance qui, en échange du procédé et en compensation du dégât, fournissait l’office du château de quartiers de venaison et de maint autre gibier.

Le plus proche voisin de M. d’Estance était M. Le Melier, ancien conseiller au Parlement. Il était riche et allié, par sa femme dont il était veuf, au marquis de Blimont qui, avec M. le comte de Galandot, se trouvait le seigneur le plus considérable du pays.

M. de Blimont habitait un fort antique château et avait, disait-il plaisamment, autant de filles que de tours. Elles se montaient en tout à dix. Les cinq demoiselles de Blimont étalaient des grâces corpulentes et des teints fleuris. Elles contrastaient par leur embonpoint avec la maigreur de leur père et rendaient plus singulières encore sa complexion malingre et sa mine chafouine. Quant à la mère, une lettre de cachet la tenait enfermée depuis longtemps dans un couvent, ce dont le marquis se louait chaque jour en se souvenant des