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LA DOUBLE MAÎTRESSE

puits ; on respirait une odeur d’étable ou un parfum de grange, et les polissons qui avaient suivi le carrosse à la course s’arrêtaient essoufflés, tandis qu’un chien jaune l’accompagnait plus loin et, las d’aboyer aux roues, finissait par le devancer, et on le voyait, haletant, lever la patte contre un tas de cailloux et pisser là, la cuisse haute et la langue pendante.

Parfois l’arrivée des visiteurs réveillait le chenil et son concert discordant de voix furieuses et rauques et de faussets glapissants. Derrière les grillages, on distinguait des gueules roses, des babines sanguinolentes et des crocs acérés. Le marchepied abaissé, la portière ouverte, M. et Mme de Galandot descendaient sur le sable d’une cour ovale, devant un perron de pierre.

M. d’Estance les recevait aux Meutes. Il baisait la main de Mme de Galandot et frappait familièrement sur l’épaule du comte qui supportait cette privauté par égard pour la considération dont jouissait dans le pays le vieux gentilhomme. Il s’était retiré du service avec le grade de maréchal de camp après maintes campagnes et de beaux états, à la suite d’une blessure qui ne guérit qu’à moitié. On voyait au mur son portrait qui le représentait en pied, le bras tendu et la main dans un gant de buffle gris à dentelle d’or, sa cuirasse barrée du cordon rouge, et debout sur un tertre où brûlait, parmi des éclats d’armes, une grenade.

Il y avait assez loin du personnage militaire figuré sur la toile à l’hôte rustique qui accueillait ses voisins de Pont-aux-Belles. M. d’Estance