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LA DOUBLE MAÎTRESSE

son œil et le but à la santé du jeune Nicolas. Puis il se dirigea vers la chambre de l’accouchée pour le compliment d’usage qu’il abrégea, car il la vit sur ses oreillers, fort pâle et les yeux clos, ce qui mit quelque mesure à ses façons qu’il avait d’ordinaire fort tournées aux longs discours. Le nouveau-né lui apparut aux mains des matrones, rouge, ridé et grimaçant. Il se laissa dire que le poupon était en tous points bien conformé et digne de son père, ce qui le fit fort content de tous deux.

Bien que M. le comte de Galandot ne se départît pas facilement de sa gravité habituelle, il n’avait jamais été si ému depuis le jour où, orphelin, riche et pourvu de bonnes terres et d’écus sonnants, il était monté en carrosse pour aller demander au vieux M. de Mausseuil la main de sa fille cadette dont il souhaitait de faire sa femme, l’ayant vue à une assemblée où elle lui parut passer en sagesse et en agrément ce que la province offrait de beautés les plus qualifiées.

Le vieux Mausseuil habitait Bas-le-Pré, comme on sait, mais ce qu’on ne saura jamais assez, c’est combien il se trouvait être le plus grincheux et le plus rechigné hobereau qui se pût voir. Il tirait de sa pauvreté un venin particulier dont la bile colorait son visage jaune et infectait son caractère hargneux. Ses habits à l’ancienne mode, sa taille contournée et sa tournure carabosse faisaient de lui une sorte de marmouset redouté à la ronde pour la méchanceté de sa langue et pour son humeur tracassière. Ses filles qu’il tyrannisait le détestaient, et son fils Hubert ne le haïssait pas moins.