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LA DOUBLE MAÎTRESSE

chevet de quelque moribond, été prendre quelque testament ou consigner quelque donation. Elle vivait ainsi recluse, inquiète et calfeutrée et, malgré tout, assez à la dure et avec peu de souci de ses aises, sans nulle délicatesse véritable pour elle-même, mais avec mille précautions contre des maux incertains qu’elle prévenait par des recettes bizarres dont elle avait un livre plein et la tête farcie.

Elle montrait, en effet, un goût singulier à se médicamenter, recourant plus volontiers à l’empirique qu’au médecin, d’autant mieux que sa forte santé avait moins besoin de remèdes que sa lubie de drogues. Elle employait beaucoup de temps à en fabriquer de toutes les sortes, en tisanes, onguents, collyres, emplâtres, toute une pharmacopée baroque. Elle avait auprès de sa chambre une véritable officine d’apothicaire où elle s’enfermait pour composer des panacées dont elle étudiait ensuite sur elle-même les effets. Elle y occupait des journées.

Nicolas et Julie pouvaient donc employer les leurs à leur gré sans craindre, au détour d’une allée, la fâcheuse rencontre de Mme de Galandot dont Julie n’avait guère après tout à subir que les sermons, les réprimandes acariâtres et parfois les médicaments, car à certains jours sa tante lui administrait d’autorité des bouillons d’herbes et des jus de plantes qui lui faisaient faire la grimace et dont elle se serait fort bien passée, car elle était naturellement fraîche et saine et robuste en sa rose jeunesse.