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Tu ne me verras plus regardant sous l’azur
Déferler l’herbe verte et houler les blés mûrs,
Non ! Maintenant, couché sur la grève, au soleil,
Je sèche mon poil fauve à son sable vermeil,
Et pour s’être aux souffles du large échevelées,
Ma toison reste amère et ma barbe est salée
Que parfumaient jadis les fruits et les miels doux.
Mon sabot qui battait la motte et le caillou
Frappe le rocher dur et s’écorne au galet ;
L’écume a meilleur goût, à mon gré, que le lait ;
J’ai délaissé, vois-tu, les Nymphes des eaux douces
Qui lentement au fil des herbes et des mousses
Allongent aux ruisseaux où l’amour les surprend
Leurs fluides cheveux et leurs corps transparents.
Qu’un autre, s’il lui plaît, les guette et les épie !
Ils n’ont point, comme moi, sur la grève endormie,
Bras à bras, bouche à bouche, et poitrine à poitrine,
Etreint, nue au soleil, la Sirène marine.
Elle vient. La voici et déjà je l’entends
Qui chante. En te voyant elle fuirait. Va-t’en !
Cache-toi si tu veux derrière ce rocher ;
Sa grotte d’ombre humide est propre à te cacher.
Tu nous verras de loin sans pouvoir être vu
Et peut-être de là, Passant, entendras-tu,
Parmi le rauque bruit de la mer amoureuse,
L’ongle du bouc grincer sur la croupe écailleuse !