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Elle est charmante, d’ailleurs, cette fumerie, et Jersainville est vraiment un homme de goût. Il a installé son attirail de pipes et de petites lampes dans une des plus amusantes pièces de la maison. Cette pièce servait de cabinet au médecin Gombault. D’aimables boiseries encadrent des panneaux peints sur lesquels sont représentés, au milieu d’arabesques, des singes apothicaires. Le bon Gombault semble montrer, par cette facétie murale, qu’il ne faisait pas grand état de son art, ni grand cas de ses confrères. Le fait est que l’on voit, sur ces panneaux, toute une ménagerie de singes affublés de robes, de bonnets carrés, de perruques et de bésicles, jouant avec les attributs de la profession qu’ils parodient assez irrévérencieusement. Les uns manient des lancettes et des bassines, d’autres des cornues et des tabliers. Beaucoup, comme bien vous pensez, sont munis de l’instrument cher à Molière et que Pravaz a perfectionné pour des usages plus délicats.

C’est parmi ces gambades simiesques et doctorales que M. de Jersainville a établi sa fumerie, et il l’a arrangée d’une façon qui aurait plu certainement à l’âme falote et goguenarde du sieur Gombault. Le médecin du duc de Choiseul eût retrouvé là un des goûts les plus chers à son temps. Le dix-huitième siècle, — je ne vous l’apprends pas, mon cher Jérôme, — a eu la passion des turqueries et des chinoiseries. Tout un art charmant et léger est né de ces imitations orientales. Décoration, tableaux, dessins, gravures, étoffes, l’époque a créé tout un mobilier baroque sous l’influence des Mille et Une Nuits, de M. Galland, des Lettres Persanes, de M. de Montesquieu, et des Contes, de M. de Voltaire. Ce fut une véritable invasion de magots à longues nattes et de pachas à trois queues. Ils prirent possession des étagères, occupèrent les vitrines, s’installèrent dans les cadres, se