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m’avaient pas ramené vers les horizons marins ; mes rêves d’adolescent avaient pris d’autres voies. Elles m’avaient conduit à des carrefours où hésitaient mes pas dont j’écoutais, le cœur battant, les échos incertains. Une lourde tristesse, faite de désirs vagues et de regrets indéfinis, m’accablait. Je sentais peser sur moi le deuil d’un ciel voilé. Toutes les choses s’enveloppaient à mes yeux d’une soucieuse lumière d’automne ; mes pensées se détachaient de mon esprit comme de précoces feuilles mortes. Je prêtais à la forme des nuages des significations symboliques. Le vol d’un oiseau, le murmure d’une source, la figure d’une fleur, la structure d’une pierre me semblaient des indications du destin. À ces sombres rêveries je cherchais un cadre qui leur convînt. Je ne leur en trouvais pas de plus propices que les vastes étendues d’eau qui stagnent sur une terre marécageuse et sur lesquelles passent des bandes triangulaires d’oiseaux migrateurs. J’aimais aussi les paysages forestiers. J’ai hanté les solitudes de cette forêt d’Ardenne où l’on rencontre Jacques le Mélancolique. J’ai bien souvent conversé avec lui, assis à ses côtés sur quelque tronc d’arbre renversé, tandis que, sur nos colloques, flottait la rumeur des hautes futaies où, parfois il me semblait entendre le bruit de la mer,