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DU MANGEUR D’OPIUM

les incidents d’une existence qui ne sont reliés ensemble par aucun enchaînement logique, il ne saurait y avoir de transition logique de l’un à l’autre, de même, quand on étudie une vie en particulier, par exemple une de ces admirables biographies qui ont pour auteur le docteur Johnson, on s’apercevra qu’en fait les simples incidents ne sont pas et ne peuvent pas plus être reliés ensemble que les divers articles d’un catalogue de vente aux enchères. Dès lors, comment peut-on arriver à établir une apparence de connexité ? Comment, du moins, se fait-il qu’à la lecture, ils donnent l’impression d’un courant uniforme, régulier ? Simplement grâce à ceci, qui est tout le secret d’une bonne biographie, c’est qu’on tire de quelque incident particulier une morale, une conclusion philosophique. Cette conclusion, par cela seul qu’elle est philosophique, sera étendue et générale. On peut par suite lui donner une forme telle qu’elle fasse naître par anticipation une pensée qui lui est apparentée, qui servira, comme un texte moral, à amener l’incident suivant, ou bien encore elle peut être en elle-même une idée assez large, assez compréhensive, assez ambidextre, dans son sens, pour comporter une application à deux faces, comme un Janus, avoir un aspect tourné vers le numéro 1, et un aspect tourné vers le numéro 2. Prenons, pour nous faire comprendre, un exemple grossier et vulgaire. Supposons qu’on raconte un trait de profusion désordonnée, et qu’ensuite, sans y être amené par aucun enchaînement naturel, aucune suite, de telle sorte que ces deux faits, abandonnés à eux-mêmes, donnent à la lecture la même impression que les divers articles d’une annonce professionnelle ; on y ajoute l’histoire d’une