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que les autres écoliers en prirent de la jalousie.

Je me liai de préférence avec les enfants des gentilshommes, et surtout avec un fils de Don Alonzo Coronel de Zuniga. Nous mettions nos goûters ensemble ; j’allais chez lui les fêtes, et les jours ordinaires j’étais continuellement avec lui. Mes autres camarades, offensés de ce que je ne leur parlais pas, ou de ce que je paraissais me tenir extrêmement sur mon quant-à-moi, ne cessaient de me donner des sobriquets relatifs à la profession de mon père. Ils m’appelaient tantôt Don Navaja (Rasoir), tantôt Don Ventosa (Ventouse). L’un disait, pour justifier sa haine contre moi, qu’il m’en voulait, parce que ma mère avait sucé de nuit deux de ses petites sœurs. Un autre, qu’on avait mandé mon père à sa maison, pour en détruire les rats ; et de là, ils prenaient occasion de m’appeler Gato. Ainsi plusieurs criaient au chat, et d’autres Minet, minet, quand ils me voyaient passer. Quelquefois je leur entendais dire : « J’ai jeté des melongènes à sa mère, lorsqu’elle était sur l’âne avec le bonnet de papier blanc. » Enfin tous ceux qui m’environnaient, ne cessaient, grâces à Dieu, de m’accabler d’injures.

Quoique j’y fusse sensible, j’affectais de ne le point paraître, jusqu’à ce qu’un jeune garçon osa un jour m’appeler fils de putain, fils de sorcière. S’il ne l’avait pas prononcé si haut, j’aurais fait encore semblant de rien, mais ne pouvant douter qu’on ne l’eût entendu, je pris une pierre, je la lui jetai, et je lui cassai la tête.