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Le premier orateur dit que :

Toute la terre étant plein d’erreur, la Médecine en a pris bonne part, et comme il n’y a rien plus cher que la vie, les hommes se sont laissés aisément porter à croire l’effet des choses qui devaient la conserver et la défendre des venins qui l’attaquent plus dangereusement que l’ennemi. C’est pourquoi il ne se fait point en cet art de plus grandes impostures que sur le sujet des alexitères[1], telle qu’on a voulu rendre la Licorne. Mais je suis trompé si cette croyance ne doit passer pour une des erreurs populaires. La première raison se tire de la contrariété d’avis qui se trouve dans tous les auteurs[2]. Philostrate en La vie d’Appolonius de Thiane[3] dit, que l’animal de ce nom est un âne[4] qui se trouve dans les marais de Colques[5], ayant une seule corne, avec laquelle il se bat furieusement contre l’Elephant[6]. Cardan[7] après Pline[8] dit que c’est un cheval, et c’est la forme sous laquelle on la peint le plus communément[9], ayant toutefois la tête d’un cerf, le poil d’une fouine, le col court, le crin petit, le pied fourchu, et qu’il naît dans les déserts d’Ethiopie parmi les serpents, au venin desquels résiste cette corne, qu’il dit être plantée au milieu du front, et de trois coudée de haut, large à la base et finissant en pointe[10]. Grasias ab Horto (Garcia da Orta[11]) dit que c’est un animal amphibie[12] qui naît bien en terre près du Cap de Bonne Espérance, mais se plait à la mer, qui a la tête et le crin d’un cheval, une corne de deux coudées de long, mais il est le seul de tous les auteurs qui la dit mobile, et pencher à droite à gauche, en haut et en bas : ceux-ci assurent qu’elle ne se peut apprivoiser[13] et Louis Vartoman[14] dit en avoir vu deux enfermées dans des cages à la Mecque, qui avaient été envoyés au Sultan Soliman, lesquelles étaient privées de cornes. Presque tous l’estiment fort rare et Marc Scherer Aleman renégat, depuis nommé Idaith Aga[15], ambassadeur du même Soliman près de l’Empereur

  1. Alexitère : « Remède qui prévient l’effet des poisons et des venins »
  2. L’idée de diversité constitue l’argument central du premier orateur, elle sert de ligne directrice au débat et éclaire la reconfiguration théorique qui s’opère au cours du XVIIe siècle. La divergence des sources et des descriptions constitue, pour le premier orateur, un grave démenti à l’existence réelle de l’animal et les propriétés de sa corne. Mais à partir de cet argument, c’est tout le principe d’analogie au fondement de l’epistémè de la Renaissance que l’orateur met à mal pour proposer en échange une relecture de ce savoir sous le mode de la représentation et la compréhension du phénomène comme une fable.L’orateur incarne la position des érudits et des lettrés dans ce débat car il a visiblement lu l’ouvrage d’U. Adrovandi qui traite de la Licorne et le Discours sur la Licorne d’Ambroise Paré. Ce dernier utilisait déjà l’argument de la diversité pour réfuter les propriétés anti-véléniques de la corne de licorne : « les uns disent qu’elle ressemblent à un cheval, les autres à un asne, les autres à un cerf, autres à un rhinocéros, autres à un levrier d’attache. Bref, chacun en dit ce qu’il en a ouy dire, ou ce qu’il luy plaist de controuver » Discours de la Licorne, in Monstres et prodiges, Paris : ed. de l’œil, Paris, 2003, chap. II, p. 244)
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