Page:Quatremère de Quincy - Considérations morales sur la destination des ouvrages de l’art, 1815.djvu/99

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
(89)

offert en soi rien d’impossible) : je lui accorde donc l’accomplissement de ses vœux, et je me demande ce qu’il en eût éprouvé ?

Je crois d’abord qu’il se serait trouvé bien déçu lorsque, revoyant l’objet de sa passion sous un autre ciel et dans une toute autre compagnie, il eût attendu, sans les recevoir, toutes ces impressions, toutes ces illusions qui, sur les bords du Téverone, avaient si fort relevé à ses yeux le prix de ce monument. Car, il n’en faut point douter, la faculté de jouir des ouvrages de l’Art réside, bien plus qu’on ne pense, dans la faculté d’imaginer ; et le laboratoire le plus actif de nos plaisirs est celui de notre imagination. Cette habile et féconde ouvrière, après avoir produit ce qu’il y a d’admirable dans les œuvres de l’Art, est encore celle qui produit l’admiration. Ici, elle ne fournit plus le fond du sujet ; mais elle y ajoute cent accessoires, qui souvent valent autant : elle développe le mérite des belles choses ; elle leur prête souvent des intentions, et leur attribue de louables motifs ; elle nous fait voir tout ce qui est dans les monumens, et tout ce qui pourrait y être ; elle fait entendre et ce qu’ils disent, et ce qu’ils sont capables de dire. Ceci n’ôte rien au mérite de l’artiste ; car si l’imagination ajoute quelquefois à la beauté de