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III

CRITIQUE DU ROMAN DE M. GUSTAVE FLAUBERT SUR L’« AFFAIRE LEMOINE » PAR SAINTE-BEUVE, DANS SON FEUILLETON DU CONSTITUTIONNEL.

L’Affaire Lemoine… par M. Gustave Flaubert ! Sitôt surtout après Salammbô, le titre a généralement surpris. Quoi ? l’auteur avait dressé son chevalet en plein Paris, au Palais de justice, dans la chambre même des appels correctionnels… : on le croyait encore à Carthage ! M. Flaubert — estimable en cela dans sa velléité et sa prédilection — n’est pas de ces écrivains que Martial a bien finement raillés et qui, passés maîtres sur un terrain, ou réputés pour tels, s’y cantonnent, s’y fortifient, soucieux avant tout de ne pas offrir de prise à la critique, n’exposant jamais dans la manœuvre qu’une aile à la fois. M. Flaubert, lui, aime à multiplier les reconnaissances et les sorties, à faire front de tous côtés, que dis-je, il tient les défis, quelques conditions qu’on propose, et ne revendique jamais le choix des armes ni l’avantage du terrain. Mais cette fois-ci, il faut le reconnaître, cette volte-face si précipitée, ce retour d’Égypte (ou peu s’en faut) à la Bonaparte, et qu’aucune victoire bien certaine ne devait ratifier, n’ont pas paru très heureux ; on y a vu, ou cru y voir, disons-le, comme un rien de mystification. Quelques-uns ont été jusqu’à prononcer, non sans apparence de raison,

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