Saint-Loup, Swann, qui m’avait le premier parlé de la musique de Vinteuil, de même que Gilberte m’avait la première parlé d’Albertine ? Or, c’est en parlant de la musique de Vinteuil à Albertine que j’avais découvert qui était sa grande amie et commencé avec elle cette vie qui l’avait conduite à la mort et m’avait causé tant de chagrins. C’était, du reste, aussi le père de Mlle de Saint-Loup qui était parti tâcher de faire revenir Albertine. Et même je revoyais toute ma vie mondaine, soit à Paris dans le salon des Swann ou des Guermantes, soit tout à l’opposé, à Balbec chez les Verdurin, faisant ainsi s’aligner, à côté des deux côtés de Combray, les Champs-Élysées et la belle terrasse de la Raspelière. D’ailleurs, quels êtres avons-nous connus qui, pour raconter notre amitié avec eux, ne nous obligent à les placer nécessairement dans tous les sites les plus différents de notre vie ? Une vie de Saint-Loup peinte par moi se déroulerait dans tous les décors et intéresserait toute ma vie, même les parties de cette vie où il fut étranger, comme ma grand’mère ou comme Albertine. D’ailleurs, si à l’opposé qu’ils fussent, les Verdurin tenaient à Odette par le passé de celle-ci, à Robert de Saint-Loup par Charlie, et chez eux quel rôle n’avait pas joué la musique de Vinteuil. Enfin Swann avait aimé la sœur de Legrandin, lequel avait connu M. de Charlus, dont le jeune Cambremer avait épousé la pupille. Certes, s’il s’agit uniquement de nos cœurs, le poète a eu raison de parler des fils mystérieux que la vie brise. Mais il est encore plus vrai qu’elle en tisse sans cesse entre les êtres, entre les événements, qu’elle entre-croise ces fils, qu’elle les redouble pour épaissir la trame, si bien qu’entre le moindre point de notre passé et tous les autres, un riche réseau de souvenirs
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