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toujours exact, surtout pour les femmes. Ainsi les mèches de la princesse de Guermantes, qui, lorsqu’elles étaient grises et brillantes comme de la soie, semblaient d’argent autour de son front bombé, ayant pris à force de devenir blanches une matité de laine et d’étoupe, semblaient au contraire, à cause de cela, être grises comme une neige salie qui a perdu son éclat. Et souvent de blondes danseuses ne s’étaient pas seulement annexé avec une perruque de cheveux blancs l’amitié de duchesses qu’elles ne connaissaient pas autrefois. Mais n’ayant fait jadis que danser, l’art les avait touchées comme la grâce. Et comme au xviie siècle d’illustres dames entraient en religion, elles vivaient dans un appartement rempli de peintures cubistes, un peintre cubiste ne travaillant que pour elles et elles ne vivant que pour lui.

Pour les vieillards dont les traits avaient changé, ils tâchaient pourtant de garder, fixée sur eux à l’état permanent, une de ces expressions fugitives qu’on prend pour une seconde de pose et avec lesquelles on essaye, soit de tirer parti d’un avantage extérieur, soit de pallier un défaut ; ils avaient l’air d’être définitivement devenus d’immutables instantanés d’eux-mêmes.

Tous ces gens avaient mis tant de temps à revêtir leur déguisement que celui-ci passait généralement inaperçu de ceux qui vivaient avec eux. Même un délai leur était souvent concédé où ils pouvaient continuer assez tard à rester eux-mêmes. Mais alors ce déguisement prorogé se faisait plus rapidement ; de toutes façons il était inévitable. Je n’avais jamais trouvé aucune ressemblance entre Mme X et sa mère, que je n’avais connue que vieille, ayant l’air d’un petit Turc tout tassé. Et, en effet, j’avais toujours connu Mme X charmante et droite et pendant très longtemps elle l’était restée, pendant trop longtemps, car, comme une personne qui, avant que la nuit n’arrive, a à ne pas oublier de revêtir son déguisement de Turque, elle