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qu’il espérait qu’il viendrait le voir, M. d’Argencourt, cet homme si terrible pour l’espèce d’hommes dont était M. de Charlus. Or il en vivait maintenant entouré. Ce n’était certes pas qu’il fût devenu à cet égard un des pareils de M. de Charlus. Mais, depuis quelque temps, il avait à peu près abandonné sa femme pour une jeune femme du monde qu’il adorait. Intelligente, elle lui faisait partager son goût pour les gens intelligents et souhaitait fort d’avoir M. de Charlus chez elle. Mais, surtout, M. d’Argencourt fort jaloux et un peu impuissant, sentant qu’il satisfaisait mal sa conquête et voulant à la fois la préserver et la distraire, ne le pouvait sans danger qu’en l’entourant d’hommes inoffensifs, à qui il faisait ainsi jouer le rôle de gardiens du sérail. Ceux-ci le trouvaient devenu très aimable et le déclaraient beaucoup plus intelligent qu’ils n’avaient cru, ce dont sa maîtresse et lui étaient ravis.

Les autres invitées de M. de Charlus s’en allèrent assez rapidement. Beaucoup disaient : « Je ne voudrais pas aller à la sacristie (le petit salon où le baron, ayant Charlie à côté de lui, recevait les félicitations, et qu’il appelait ainsi lui-même), il faudrait pourtant que Palamède me voie pour qu’il sache que je suis restée jusqu’à la fin. » Aucune ne s’occupait de Mme  Verdurin. Plusieurs feignirent de ne pas la reconnaître et de dire adieu par erreur à Mme  Cottard, en me disant de la femme du docteur : « C’est bien Mme  Verdurin, n’est-ce pas ? » Mme  d’Arpajon me demanda, à portée des oreilles de la maîtresse de maison : « Est-ce qu’il y a seulement jamais eu un M. Verdurin ? » Les duchesses, ne trouvant rien des étrangetés auxquelles elles s’étaient attendues, dans ce lieu qu’elles avaient espéré plus différent de ce qu’elles connaissaient, se rattrapaient, faute de mieux, en étouffant des fous rires devant les tableaux d’Elstir ; pour le reste, qu’elles trouvaient plus