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— Je connais bien quelqu’un qui s’appelle Vinteuil, dit Swann, en pensant au professeur de piano des sœurs de ma grand’mère.

— C’est peut-être lui, s’écria Mme Verdurin.

— Oh ! non, répondit Swann en riant. Si vous l’aviez vu deux minutes, vous ne vous poseriez pas la question.

— Alors poser la question, c’est la résoudre ? dit le docteur.

— Mais ce pourrait être un parent, reprit Swann, cela serait assez triste, mais enfin un homme de génie peut être le cousin d’une vieille bête. Si cela était, j’avoue qu’il n’y a pas de supplice que je ne m’imposerais pour que la vieille bête me présentât à l’auteur de la sonate : d’abord le supplice de fréquenter la vieille bête, et qui doit être affreux.

Le peintre savait que Vinteuil était à ce moment très malade et que le docteur Potain craignait de ne pouvoir le sauver.

— Comment, s’écria Mme Verdurin, il y a encore des gens qui se font soigner par Potain !

— Ah ! madame Verdurin, dit Cottard, sur un ton de marivaudage, vous oubliez que vous parlez d’un de mes confères, je devrais dire un de mes maîtres.

Le peintre avait entendu dire que Vinteuil était menacé d’aliénation mentale. Et il assurait qu’on pouvait s’en apercevoir à certains passages de sa sonate. Swann ne trouva pas cette remarque absurde, mais elle le troubla ; car une œuvre de musique pure ne contenant aucun des rapports logiques dont l’altération dans le langage dénonce la folie, la folie reconnue dans une sonate lui paraissait quelque chose d’aussi mystérieux que la folie d’une chienne, la folie d’un cheval, qui pourtant s’observent en effet.

— Laissez-moi donc tranquille avec vos maîtres, vous en savez dix fois autant que lui, répondit