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montrai le papier : « Je n’ai aucun remords, tout excusée par ce sentiment si familial… » « Vous savez bien, Andrée, qu’Albertine avait toujours dit que l’amie de Mlle Vinteuil était, en effet, pour elle une mère, une sœur. — Mais vous avez mal compris ce billet. La personne que Mme Verdurin voulait ce jour-là faire rencontrer chez elle avec Albertine, ce n’était pas du tout l’amie de Mlle Vinteuil, c’était le fiancé « je suis dans les choux », et le sentiment familial est celui que Mme Verdurin portait à cette crapule qui est, en effet, son neveu. Pourtant je crois qu’ensuite Albertine a su que Mlle Vinteuil devait venir, Mme Verdurin avait pu le lui faire savoir accessoirement. Certainement l’idée qu’elle reverrait son amie lui avait fait plaisir, lui rappelait un passé agréable, mais comme vous seriez content, si vous deviez aller dans un endroit, de savoir qu’Elstir y est, mais pas plus, pas même autant. Non, si Albertine ne voulait pas dire pourquoi elle voulait aller chez Mme Verdurin, c’est qu’il y avait une répétition où Mme Verdurin avait convoqué très peu de personnes, parmi lesquelles ce neveu à elle que vous aviez rencontré à Balbec, que Mme Bontemps voulait faire épouser à Albertine et avec qui Albertine voulait parler. C’est une jolie canaille. » Ainsi Albertine, contrairement à ce qu’avait cru autrefois la mère d’Andrée, avait eu, somme toute, un beau parti bourgeois. Et quand elle avait voulu voir Mme Verdurin, quand elle lui avait parlé en secret, quand elle avait été si fâchée que j’y fusse allé en soirée sans la prévenir, l’intrigue qu’il y avait entre elle et Mme Verdurin avait pour objet de lui faire rencontrer non Mlle Vinteuil, mais le neveu qui aimait Albertine et pour qui Mme Verdurin s’entremettait, avec cette satisfaction de travailler à la réalisation d’un de ces mariages qui surprennent de la part de certaines familles dans la mentalité de qui on n’entre pas complètement, croyant qu’elles tiennent à un mariage riche. Or jamais