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a affaire à l’un des plus touchants miracles de la nature et qui, le second surtout, font ressembler le règne humain au règne des fleurs. Dans la première hypothèse : — si la future Mme de Vaugoubert avait toujours été aussi lourdement hommasse — la nature, par une ruse diabolique et bienfaisante, donne à la jeune fille l’aspect trompeur d’un homme. Et l’adolescent qui n’aime pas les femmes et veut guérir trouve avec joie ce subterfuge de découvrir une fiancée qui lui représente un fort aux halles. Dans le cas contraire, si la femme n’a d’abord pas les caractères masculins, elle les prend peu à peu, pour plaire à son mari, même inconsciemment, par cette sorte de mimétisme qui fait que certaines fleurs se donnent l’apparence des insectes qu’elles veulent attirer. Le regret de ne pas être aimée, de ne pas être homme la virilise. Même en dehors du cas qui nous occupe, qui n’a remarqué combien les couples les plus normaux finissent par se ressembler, quelquefois même par interchanger leurs qualités ? Un ancien chancelier allemand, le prince de Bulow, avait épousé une Italienne. À la longue, sur le Pincio, on remarqua combien l’époux germanique avait pris de finesse italienne, et la princesse italienne de rudesse allemande. Pour sortir jusqu’à un point excentrique des lois que nous traçons, chacun connaît un éminent diplomate français dont l’origine n’était rappelée que par son nom, un des plus illustres de l’Orient. En mûrissant, en vieillissant, s’est révélé en lui l’Oriental qu’on n’avait jamais soupçonné, et en le voyant on regrette l’absence du fez qui le compléterait.

Pour en revenir à des mœurs fort ignorées de l’ambassadeur dont nous venons d’évoquer la silhouette ancestralement épaissie, Mme de Vaugoubert réalisait le type, acquis ou prédestiné, dont l’image immortelle est la princesse Palatine, toujours en habit de cheval et ayant pris de son mari plus