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de petits escaliers de communication, se dépliaient en éventail de sombres galeries, dans lesquelles, portant un traversin, passait une femme de chambre. J’appliquais à son visage rendu indécis par le crépuscule le masque de mes rêves les plus passionnés, mais lisais dans son regard tourné vers moi l’horreur de mon néant. Cependant pour dissiper, au cours de l’interminable ascension, l’angoisse mortelle que j’éprouvais à traverser en silence le mystère de ce clair-obscur sans poésie, éclairé d’une seule rangée verticale de verrières que faisait l’unique water-closet de chaque étage, j’adressai la parole au jeune organiste, artisan de mon voyage et compagnon de ma captivité, lequel continuait à tirer les registres de son instrument et à pousser les tuyaux. Je m’excusai de tenir autant de place, de lui donner tellement de peine, et lui demandai si je ne le gênais pas dans l’exercice d’un art à l’endroit duquel, pour flatter le virtuose, je fis plus que manifester de la curiosité, je confessai ma prédilection. Mais il ne me répondit pas, soit étonnement de mes paroles, attention à son travail, souci de l’étiquette, dureté de son ouïe, respect du lieu, crainte du danger, paresse d’intelligence ou consigne du directeur.

Il n’est peut-être rien qui donne plus l’impression de la réalité de ce qui nous est extérieur, que le changement de la position, par rapport à nous, d’une personne même insignifiante, avant que nous l’ayons connue, et après. J’étais le même homme qui avait pris à la fin de l’après-midi le petit chemin de fer de Balbec, je portais en moi la même âme. Mais dans cette âme, à l’endroit où, à six heures, il y avait avec l’impossibilité d’imaginer le directeur, le Palace, son personnel, une attente vague et craintive du moment où j’arriverais, se trouvaient maintenant les boutons extirpés dans la figure du directeur cosmopolite (en réalité naturalisé Monégasque, bien qu’il fût — comme il disait parce qu’il employait toujours des expressions