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un livre que Mme de Villeparisis lisait ou disait avoir trouvé beaux des fruits que celle-ci avait reçus d’une amie, une heure après un valet de chambre montait nous remettre livre ou fruits. Et quand nous la voyions ensuite, pour répondre à nos remerciements elle se contentait de dire, ayant l’air de chercher une excuse à son présent dans quelque utilité spéciale : « Ce n’est pas un chef-d’œuvre, mais les journaux arrivent si tard, il faut bien avoir quelque chose à lire » ou : « C’est toujours plus prudent d’avoir du fruit dont on est sûr au bord de la mer. » « Mais il me semble que vous ne mangez jamais d’huîtres, nous dit Mme de Villeparisis (augmentant l’impression de dégoût que j’avais à cette heure-là, car la chair vivante des huîtres me répugnait encore plus que la viscosité des méduses ne me ternissait la plage de Balbec) ; elles sont exquises sur cette côte ! Ah ! je dirai à ma femme de chambre d’aller prendre vos lettres en même temps que les miennes. Comment, votre fille vous écrit tous les jours ? Mais qu’est-ce que vous pouvez trouver à vous dire ! » Ma grand’mère se tut, mais on peut croire que ce fut par dédain, elle qui répétait pour Maman les mots de Mme de Sévigné : « Dès que j’ai reçu une lettre, j’en voudrais tout à l’heure une autre, je ne respire que d’en recevoir. Peu de gens sont dignes de comprendre ce que je sens. » Et je craignais qu’elle n’appliquât à Mme de Villeparisis la conclusion : « Je cherche ceux qui sont de ce petit nombre et j’évite les autres. » Elle se rabattit sur l’éloge des fruits que Mme de Villeparisis nous avait fait apporter la veille. Et ils étaient en effet si beaux que le directeur, malgré la jalousie de ses compotiers dédaignés, m’avait dit : « Je suis comme vous, je suis plus frivole de fruit que de tout autre dessert. » Ma grand’mère dit à son amie qu’elle les avait d’autant plus appréciés que ceux qu’on servait à l’hôtel étaient généralement détestables. « Je ne peux pas, ajouta-t-elle, dire comme