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décide, qui mène ; c’est lui, en un mot, dont la prudence éclairée gouverne la routine nationale pour le plus grand bien de tous.

L’homme, vivant naturellement en société, suit naturellement aussi un chef. Dans l’origine, ce chef est le père, le patriarche, l’ancien, c’est-à-dire le prud’homme, le sage, dont les fonctions, par conséquent, sont toutes de réflexion et d’intelligence. L’espèce humaine, comme les autres races d’animaux sociables, a ses instincts, ses facultés innées, ses idées générales, ses catégories du sentiment et de la raison : les chefs, législateurs ou rois, jamais n’ont rien inventé, rien supposé, rien imaginé ; ils n’ont fait que guider la société selon leur expérience acquise, mais toujours en se conformant aux opinions et aux croyances.

Les philosophes qui, portant dans la morale et dans l’histoire leur sombre humeur de démagogues, affirment que le genre humain n’a eu dans le principe ni chefs ni rois, ne connaissent rien à la nature de l’homme. La royauté, et la royauté absolue, est, aussi bien et plus que la démocratie, une forme primitive de gouvernement. Parce qu’on voit, dès les temps les plus reculés, des héros, des brigands, des chevaliers d’aventures, gagner des couronnes et se faire rois, on confond ces deux choses, la royauté et le despotisme : mais la royauté date de la création de l’homme ; elle a subsisté dans les temps de communauté négative ; l’héroïsme, et le despotisme qu’il engendre, n’a commencé qu’avec la première détermination de l’idée de justice, c’est-à-dire avec le règne de la force. Dès que, par la comparaison des mérites, le plus fort fut jugé le meilleur, l’ancien dut lui céder la place, et la royauté devint despotique.

L’origine spontanée, instinctive, et, pour ainsi dire, physiologique de la royauté, lui donna, dans les commencements, un caractère surhumain ; les peuples la rapportèrent aux dieux, de qui, disaient-ils, descendaient les premiers rois : de là les généalogies divines des familles royales, les incarnations des dieux, les fables messianiques ; de là les doctrines de droit divin, qui conservent encore de si singuliers champions.