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LE COUPLE AU JARDIN

— Veuillez me dire, maintenant, quelles relations existent entre ma femme et vous.

Pierre Vincent hésita avant de porter un nouveau coup et sa réponse fut à peine perceptible :

— Blanche est ma sœur.

Nérée le regardait, stupide… Non, cet homme n’avait pas l’air d’un aliéné, mais d’un être accablé par la fatalité.

— Je ne comprends pas… Le père de Blanche croit son fils mort.

— Non. Si mon père m’a dit mort, c’était pour lui une façon définitive de me rayer de sa vie. « Pierre Vincent » était mon pseudonyme de journaliste. Par déférence pour mon père, j’avais laissé ignorer ma véritable identité à ceux qui menaient avec moi ou contre moi le combat politique. Le mort, c’est Pierre Vincent ; Claude Ellinor demeure, et je vous jure qu’il n’en est ni fier ni heureux.

» Pendant trois ans, je n’ai rien su des miens ; ils ont tout ignoré de moi. En rentrant en France, il y a quelques semaines, mon espoir était de revoir d’abord ma sœur et, par elle, de parvenir à fléchir mon père. Vous pouvez imaginer mon effondrement lorsque j’appris que Blanche était devenue votre femme… Et, puisque nous voici à ce point douloureux, je vous supplie de faire un moment abstraction de ma personne : il faut que je vous parle de ma sœur. Depuis que je l’ai retrouvée, je l’ai vue si affreusement suppliciée que j’en oubliais souvent ma propre détresse. Blanche est persuadée que vous ne lui pardonnerez pas de vous avoir épousé, sachant… ce qu’elle savait ; que vous lui reprocherez son silence comme un abus de confiance, un mensonge presque criminel…