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avec la fermeté d’âme d’un homme dont Malesherbes a pu dire qu’il avait le cœur de l’Hôpital et la tête de Bacon.

Il fut inhumé d’abord dans l’église des Incurables, rue de Sèvres : c’est M. de Neymarck qui le dit ; mais son cercueil fut porté ensuite dans le cimetière de Bons, en Normandie.

Une tradition conservée dans sa famille nous a appris qu’en 1793, lors de la réquisition des plombs, son cercueil fut tiré du tombeau et ouvert pour en enlever la caisse de plomb. Plusieurs de ceux qui avaient été chargés de cette opération.avaient connu Turgot. Ils furent effrayés de le trouver dans un état parfait de conservation et de voir ses traits comme si, vivant, il leur reprochait de troubler son repos. A cette vue, ils laissèrent l’ouvrage inachevé et s’enfuirent. La municipalité fit remettre hâtivement le cercueil dans une fosse, mais oh n’a pas marqué la place où il fut enterré. Tout ce qu’on sait aujourd’hui, c’est que les restes de Turgot gisent dans un coin ignoré de ce petit cimetière de campagne. »

La démarche de courtoisie que je me proposais de faire à Mme la marquise Turgot, l’arrière petite-nièce du ministre, prenait un tout autre caractère, car il fallait savoir si la famille possédait des données précises sur cette translation du corps de Turgot, de la chapelle des Incurables à Bons, en Basse-Normandie.

Mme la marquise Turgot m’a reçu de la plus aimable manière, ce qui ne surprendra pas les familiers de Carnavalet, car « son mari était un intime du regretté Liesville, son compatriote, et il me souvient, m’écrit M. Le Vayer, l’avoir rencontré, ainsi que la marquise, à Carnavalet, dont la collection renferme divers objets dus à leur générosité.»

Parmi ces dons, il en est un, tout au moins, qui a trait à la famille Turgot : c’est le cœur de l’arrière grand-père du ministre, inhumé, comme nous l’avons dit, le 15 septembre 1670 aux Petits-Augustins, depuis École des beaux arts. En octobre 1877, des travaux entrepris dans l’ancienne chapelle du couvent, ont fait apparaître le cercueil de Dominique Turgot, le chef de la branche des Turgot de Sousmons.

Le marquis Jacques Turgot, avisé de cette découverte, fit transférer le corps de son ancêtre à Lanteuil, dans le Calvados, et donna au musée Carnavalet un coffret en plomb, en forme de cœur, qui, nous a dit la marquise Turgot, fut trouvé dans la tombe aux pieds du corps : il contient très vraisemblablement le cœur de Dominique. Une enquête sur l’entrée

de cette pièce au musée Carnavalet devrait être faite par le service administratif compétent.

Mais, en ce qui concerne le transport du corps du ministre à Bons, Mme la marquise Turgot ne put nous donner aucune indication certaine. Elle nous dit simplement que M. Léon Say, quand il écrivit l’histoire de son prédécesseur au ministère des Finances, alla passer deux jours au château de Lanteuil et que les recherches faites dans les papiers de famille (1) ne donnèrent, à ce sujet, aucun résultat.

Il nous a semblé, toutefois, que la tradition de famille transmise par le marquis Turgot à. M. Léon Say était trop circonstanciée pour qu’elle n’eût pas de réelles vraisemblances. Aussi nous a-t-il paru nécessaire, pour élucider la question, de faire faire des recherches dans les archives officielles de Bons. M. le Préfet de la Seine, président de notre Commission, a accepté cette idée et il a chargé un des archivistes du Département, M. Ernest Coyecque, de se rendre d’urgence à Bons, pour compulser les archives de la commune et les registres paroissiaux.

M, Coyecque est allé à Bons, le mardi 7 et le mercredi 8 : il a fouillé les archives de la commune de Bons-Tassily, il a compulsé les registre paroissiaux de l’église de Bons, et il n’a rien trouvé d’officiel concernant la présence du corps du ministre dans le cimetière de Bons.

Ses investigations lui ont permis toutefois de recueillir des données intéressantes sur la famille Turgot : on les trouvera dans le rapport de M. E. Coyecque que nous annexons à notre propre rapport.

Le résultat de cette enquête à Bons montre que la tradition de famille rapportée par M. Léon Say ne peut être considérée, en l’état actuel, que comme une simple tradition. C’est la pénible conséquence de l’indifférence à l’égard de la personne du grand ministre, indifférence qui a voulu, semble-t-il, rivaliser avec l’égoïsme des grands, la faiblesse d’un roi et l’ignorance de la foule.

En somme, ce que l’on sait, c’est que le ministre Turgot de Sousmons, décédé dans

(1) M. Et. Dubois de l’Estang, neveu de la marquise Turgot, aujourd’hui propriétaire du château de Lanteuil et dépositaire de ces papiers, m’a dit avoir vu récemment le compte des frais de l’inhumation du ministre aux Incurables.