Page:Price - Croquis de province, 1888.djvu/12

Cette page a été validée par deux contributeurs.

L’aspect de sa femme le dérida quelque peu. Une jolie femme, subitement entrevue au cours de méditations hypocondriaques, produit le même effet qu’un rayon de soleil perçant joyeusement les nuages gris. La jeune marquise était charmante, dans sa toilette très simple, en toile crème, toute semée de petits bouquets pompadour. Comme on était dans la saison chaude, elle avait oublié d’agrafer d’une broche la garniture de dentelles du cou, laquelle s’ouvrait malicieusement au cœur, et estompait d’une ombre mystérieusement légère les premiers contours de sa gorge bien dessinée. Sa jolie tête, casquée de cheveux noirs, se détachait un peu soucieuse, sur le ton clair du costume. Adossée au chambranle de la fenêtre, elle regardait la campagne. Le marquis fit le tour de la pièce sur la pointe des pieds, et trancha sa rêverie d’un gros baiser planté sur la nuque. Elle poussa un léger cri, et se retourna.

— À quoi pensais-tu, lui demanda-t-il en souriant ?

Georgette eut un gros soupir.

— Je pensais, répondit-elle, qu’il nous tombe sur la tête une fameuse tuile !

— Que dis-tu là !

— Regarde.

Et, du doigt, elle lui indiquait l’horizon.

M. de Guérelles se pencha. À ses pieds s’étendait le grand parc plein d’ombre. Le moutonnement des arbres, agités par une brise légère, allait en mourant jusqu’à la rivière. Il fouilla du regard les environs, les pâturages, immense tapis vert jeté à la fois sur la plaine et les collines ; le pont suspendu sur le Coypet, la route. Il sonda l’entrée des villages disséminés au loin, dont les églises neuves tachaient de blanc le ciel bleu. Il poussa jusqu’aux carrières ouvrant de hautes brèches rouges sur les hauteurs, embrumées par la distance, de Villière et de Charmeron. Et il ne trouva rien. Georgette, penchée sur son épaule, tendit sa main fine vers la route qui aboutissait à l’avenue de Guérelles. Il avait fallu ses yeux de vingt ans pour distinguer et démêler le groupe, déjà moins confus qui courait, dans une nuée poudreuse.

Le marquis examina un moment. Le groupe grandissait. Les points noirs prenaient un corps. On distinguait une calèche, escortée de deux cavaliers. Elle était engagée dans l’ombre d’une tranchée. Quand elle en sortit, le soleil donna en plein sur le cortège. On put voir dans la voiture, deux hommes, brillant comme des châsses sous les rayons ardents ; tout un plastron d’étincelantes broderies ; et, dans la pous-