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puisque rien dans sa situation ne s’opposait à ce mariage — il avait pris le grand parti de l’enlever.

On devine la fin ; les parents se décidèrent à prendre des informations plus sérieuses sur le compte de M. de Peltreau, et le mariage fut célébré un mois après. On s’empressa de ne pas m’y inviter. Seulement, quand mon lieutenant revint de son voyage de noce, il m’avisa un dimanche où, boutonnant mes gants, je m’apprêtais à sortir.

— Venez ici, chasseur !

Bon, pensai-je, il va me remercier.

— Deux jours de salle de police : vos gants ne sont pas d’ordonnance, Allez !

DÉJEUNER IMPROMPTU

Le marquis de Querelles, ce matin-là, se réveilla de méchante humeur. Il savait que le service ferait totalement défaut au château jusqu’à l’heure du dîner, Or, le marquis était d’essence particulière. Grand voyageur, il explorait les contrées les plus invraisemblables avec un bidon de rhum chauffé par le soleil et une boîte de pemmican moisi. Mais, rentré chez lui, ce coureur de grandes routes, sobre et simple devenait un raffiné, et poussait des cris si le valet de chambre oubliait de lui changer à temps son assiette. Aussi, la jolie marquise Georgette avait-elle dû déployer une diplomatie féline pour obtenir un congé général à son personnel, et lui permettre d’assister aux noces du premier cocher.

Grâce à son intervention, une file éblouissante s’était, dès le matin, dirigée vers la mairie de Feugerolles : forts gaillards à favoris, sanglés dans des habits luisants, gantés de fil blanc et cravatés en notaires ; belles dames, serrées à éclater dans les robes abandonnées par la châtelaine. Tout le monde y était, depuis les palefreniers jusqu’à la cuisinière. Ajoutons, à la louange du cordon-bleu, qu’avant de partir elle avait préparé pour ses maîtres un déjeuner sommaire auquel Négous, le seul valet qui restât, pouvait mettre la dernière main. Négous était un jeune nègre abyssinien ramené par le marquis. Dressé comme un singe, il ne comprenait pas un mot de français.

À l’appel de la cloche agitée par lui, M. de Guérelles descendit à la salle à manger, où se trouvait déjà Georgette.