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LA TEMPÊTE DU « VAISSEAU FANTÔME »


entrent dans la ville avec les charrettes des maraîchers. La diligence les dépose rue Jussienne. Ils courent chez Avénarius qui vient de louer pour eux une pièce dans le quartier des Halles, et font connaissance avec ce Paris de l’aurore, au visage embroussaillé, à l’haleine forte, qui bâille au milieu de ses navets et trébuche dans ses salades. Marché des Innocents, rue de la Fromagerie, de la Triperie, du marché aux Poires. la capitale des comestibles ! Est-ce bien la ville de Méhul, celle des amours du chevalier de Gluck, la ville d’où Mozart écrivait : « Je suis pour ainsi dire tout enfoncé dans la musique, j’en fais toute la journée… il faut que j’écrive un grand opéra » ; mais celle aussi où ce grand homme a souffert d’être si totalement incompris ? Ne dlsait-il pas : « C’est le diable qui a fait la langue française ? » Et lui, Wagner, prétend-il réussir où Mozart échoua ? Achèvera-t-il ici son opéra ? En composera-t-il d’autres dans cette « Babylone » des fruits et des légumes ?

On s’arrête enfin devant le no  33 de la rue de la Tonnellerie, qui relie la rue Saint-Honoré au Marché des Innocents. Ce sera donc là, dans ce garni sordide ! Il se sent déjà comme avili. Pourtant sur la façade de l’hôtel borgne se détache un buste avec cette inscription : « Maison où naquit Molière. » Tel est le cas que font les Français du berceau de leurs génies ! Nos jeunes Allemands prennent possession d’une triste chambre qui plonge dans cette foire où les quatre saisons s’embrassent sur le pavé. « Nous nous demandions avec effroi ce que nous étions venus chercher là. » La gloire, assurément, comme l’attendent du hasard des grandes cités tous les poëtes.