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LA TEMPÊTE DU « VAISSEAU FANTÔME »


lettre, ni celle que Richard adressa à sa femme pour l’engager à le rejoindre. Mais l’on peut assez se figurer que la solitude de Riga, et surtout le goût sensuel qu’eut toujours Wagner pour la douleur sous toutes ses formes, ont dû faire de cet appel une page d’un magnétisme profond. Car, dans l’humiliation de cette ennemie vaincue, quelle voluptueuse revanche ! Abandonnée par son amant et dans un état de souffrances morales et physiques pitoyable, elle suppliait l’homme qu’elle n’avait pas su comprendre et qui, malgré son art de tourmenteur, restait le maître de sa vie, de la reprendre. « C’est ainsi que, reconnaissant son affreuse situation, elle revenait à moi, implorant mon pardon et m’assurant de toute façon qu’à présent seulement, elle savait la puissance de l’amour qui la liait à moi. »

Les deux sœurs arrivent ensemble à Riga et la réconciliation nouvelle a lieu sans difficulté et sans reproches. Au surplus, Wagner a hâte d’être installé chez lui, de retrouver le calme, le travail, une bonne cuisine ; et Minna s’entend à organiser son intérieur. Ils emménagent au premier étage d’une maison du faubourg de saint-Pétersbourg. D’un côté, les deux petites pièces cédées à Amélie ; de l’autre, la chambre conjugale. Au milieu la « wohnzimmer », c’est-à-dire le salon transformé en laboratoire musical, avec son piano, sa table couverte de papiers, ses deux poêles russes, ses rideaux rouges. En levant la tête, les passants peuvent apercevoir derrière la fenêtre ouverte le jeune musikdirektor en robe de chambre, la tête coiffée d’un fez et fumant sa longue pipe de porcelaine.

Ce modeste logis vit la naissance de Rienzi. C’est là que pendant les deux hivers de 1837-38 et 1838-39, Wagner prépara toutes les représentations lyriques du théâtre : le Don Juan et les Noces de Mozart, la Norma de Bellini, l’Obéron de Weber, le Joseph de Méhul. la Muette d’Auber, sans parler de tous les opéras secondaires et des concerts. « Wagner tourmentait mon personnel par des répétitions interminables », raconte Holtei, « rien ne lui paraissait assez bon, rien n’était assez finement nuancé. Alors je recevais réclamations sur réclamations, musiciens et chanteurs venaient se plaindre à moi. Bien que je donnasse intérieurement raison à Wagner, je ne pouvais cependant lui laisser tout mener à