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RICHARD WAGNER

petit canapé rouge et or de son cabinet de toilette, s’affale contre l’épaule de Cosima. La domestique le débarrasse de ses vêtements. « Ma montre ! » s’écrie-t-il faiblement. Elle était tombée d’une poche de son gilet sur le tapis. On l’entendit battre encore, alors que le cœur de Wagner venait de s’arrêter.

Trois jours après, à la même heure, un cercueil massif orné de têtes de lions quitta le palais Vendramin. On le déposa dans la gondole dont Liszt avait d’avance composé le funèbre chant. Et peut-être Ritter se souvint-il du soir d’été de 1858 où le fuyard avait reçu une impression si forte en entrant à Venise dans une barque noire, aux couleurs de Tristan. Cosima, droite et voilée, suivait le corps. Elle avait coupé sa chevelure pour que le bien-aimé emportât ce gage de sa fidèle Senta.

Puis commença le triomphal voyage du mort à travers l’Italie et l’Allemagne. Députations et porteurs de couronnes attendaient le convoi dans toutes les gares. À Innsbruck, on retrouva Lévi. À Kuffstein, M. de Bürkel, secrétaire du roi de Bavière, que Sa Majesté envoyait au-devant de son Lohengrin disparu. Mais, si à Munich une foule immense, silencieuse oublieuse, apportait son hommage à celui qui traversait une dernière fois cette capitale remplie de sa gloire durement payée, Louis II, lui, ne consentit point à paraître devant le cadavre du seul vivant qu’il eût aimé.

Le train arriva à Bayreuth en pleine nuit. Le ville entière l’attendait, et les funérailles eurent lieu le lendemain. Le vieux révolutionnaire prit alors sa revanche sur les « grands » qui, durant tant d’années, l’avaient si souvent offensé. Ce furent des obsèques royales avec l’estrade des officiels, les discours de la municipalité, les drapeaux en berne, les lampadaires voilés de crêpe, les représentants du Roi et du Grand-Duc de Saxe-Weimar en uniforme, les délégations d’artistes et celles des Sociétés Wagner, le corps des officiers, la musique du 7e d’infanterie et celle d’un régiment de chevau-légers. Sur le char, reposaient seules les deux couronnes du roi. Le cortège traversa toute la ville. Aux portes de Wahnfried, les enfants vinrent à sa rencontre, tenant en laisse les