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PAN N’EST PAS MORT

més, le seul qui demeure fidèle est Liszt. Et Cosima, son sang, son cœur. Ah ! puisse-t-il venir bientôt, le vieux compagnon !

Il vient. Le l9 novembre, à dix heures du soir, Liszt descend du train de Milan pour embarquer dans la gondole de Wagner. Et celui-ci l’attend au palais Vendramin, dont il a fait allumer toutes les torchères, avec cette impatience, cette joie, cette sorte de frénésie qu’il ressent toujours à l’approche du Saint François pauvret et rayonnant. On le conduit en grande pompe à son « logis princier » : trois pièces, un salon et un antichambre situés en face de l’appartement de sa fille. Et la vie reprend comme à Bayreuth. Liszt va chaque matin entendre la messe à l’église de la paroisse. À deux heures, on dîne en famille. L’après-midi, il travaille à son Saint Stanislas, ou bien, en compagnie de Cosima, fait des visites aux grands seigneurs de passage à Venise, tandis que Wagner retourne s’asseoir sur le banc de pierre de Saint-Marc.

La nervosité de Richard augmente. L’idée de sa solitude intérieure le tourmente depuis l’arrivée de Liszt. Au fond, se sont-ils jamais compris ? N’y a-t-il pas entre leurs deux natures des différences qui rendent toute union intime absolument factice ? Et maintenant que Franz le prive trop souvent de Cosima, une jalousie — vieille peut-être de trente ans — bouillonne en celui qui vécut si longtemps de la magnificence lisztienne. Wagner s’abandonne à des éclats nerveux. Et Cosima doit s’efforcer sans cesse à dérober ses larmes. Seul Liszt ne s’aperçoit de rien, fait un whist avec ses petites-filles, ou se met au piano pour jouer ses œuvres les plus récentes sans prêter nulle attention aux silences de Wagner. Il y a du comique à voir ensuite les deux vieux maîtres parler chacun pour soi sans s’entendre, habitués qu’ils sont à être partout les seuls qu’on écoute. Il advient pourtant qu’ils s’enferment chez Wagner. Liszt s’assied devant le clavier, reprend une sonate de Beethoven ou une fugue de Bach. Et ils retrouvent alors le chemin secret qui les conduisit autrefois l’un vers l’autre.

Pour Noël, joua anniversaire de la naissance de Cosima, Wagner dirige sa vieille Symphonie de Leipzig avec l’orchestre du Liceo, dans la salle du foyer de la Fenice. « C’est de l’Hercule jeune domptant les serpents et prenant un plaisir