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RICHARD WAGNER


artistes et des étrangers parmi lesquels on remarquait les compositeurs français Chausson, Léo Delibes, Vincent d’Indy et Saint-Saëns.

Lors de la cinquième représentation le chanteur Scaria, en entrant dans un petit salon près des coulisses, où se tenait Wagner le vit subitement bleuir, s’affaisser sur un canapé, et battre le vide de ses poings fermés comme s’il luttait contre la mort. On le ranima, car il était sans connaissance. « J’ai échappé cette fois encore », dit-il en se remettant sur pied ; et il exigea le silence absolu sur cet incident pour ne point troubler la suite du spectacle. Mais l’homme était épuisé. Il s’endormait, à Wahnfried, sur la chaise de son cabinet de toilette. La nuit, sa femme l’entendait parler dans son sommeil. « Adieu, enfants », disait-il. Elle priait auprès de lui, pleurait. Mais le lendemain, rien d’inquiétant ne transparaissait sur le vieux visage usé.

Au mariage de sa belle-fille, Wagner se montra plein d’entrain et fit un long discours. Cette nuit-là, la population de Bayreuth alluma des feux de joie sur les collines environnantes. Quatre jours après, eut lieu la seizième et dernière représentation de Parsifal. Il tombait sur la Haute-Franconie une pluie glacée. Lévi s’était refroidi, se trouvait souffrant. Alors Wagner descendit dans la fosse de l’orchestre et saisissant la baguette, dirigea lui-même le troisième acte. Puis, le rideau tombé pour la dernière fois sur le temp1e du Graal, il adressa quelques paroles de reconnaissance aux musiciens. « À l’année prochaine ! » Mais sa tâche était achevée. Une lassitude infinie l’accablait. Il voulait fuir cette Bavière hostile, revoir Venise. Cosima s’avait-elle pas dit que, s’i1 fallait vivre en Allemagne, la mort n’était belle qu’en Italie ?