Page:Pourtalès - Wagner, histoire d'un artiste, 1948.pdf/437

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
419
ITALIAM


sérieuse : le roi annonça qu’il ne viendrait pas. Il se disait souffrant. Mais Wagner devinait bien que d’autres raisons motivaient cette désertion au moment même où son Parsifal devait prendre dans l’histoire de l’art la stature idéale qu’ils avaient ensemble rêvée. Ce qui tenait Louis II éloigné de Bayreuth, c’était sa volonté de solitude. Il ne voulait plus être pour le monde qu’un roi mort, une statue. Depuis longtemps il n’appartenait plus à la basse humanité des spectateurs. Il se dérobait à leur vie stupide. Il avait coupé les ponts qui reliaient ses châteaux aux routes du royaume. Le songe, l’éternel songe, creusait autour de lui une douve protectrice qu’il ne franchirait plus qu’à l’instant de mourir.

Nietzsche non plus ne vint pas, quoiqu’il séjournât pour lors dans le petit village de Tautenberg, en Thuringe. Mais son amie Lou Salomé était à Bayreuth et Nietzsche lui écrivit : « …J’ai tant souffert du fait de cet homme et de son art. Ce fut un long et véritable calvaire, je ne trouve pas d’autre mot. Le renoncement qu’il m’a fallu, la nécessité où je me suis trouvé acculé de me retrouver moi-même, appartient à ce qu’il y a de plus dur dans mon destin. Les derniers mots que Wagner m’ait adressés se trouvent dans un tel exemplaire dédicacé de Parsifal : « À mon cher ami Frédéric Nietzsche, Richard Wagner, conseiller supérieur ecclésiastique. » Il reçut au même moment mon livre Humain trop humain que je lui avais envoyé et de ce fait tout fut limpide, mais aussi tout fut fini. Que de fois, en toute sorte de choses, ai-je vécu précisément ceci : « Tout est limpide, mais tout est fini. »[1]

Mais Liszt vint en revanche, et Richard en eut une joie qui lui fit dire que son vieil ami Franz était, en vérité, son unique parenté. Vinrent aussi quelques-unes des amies d’autrefois : sa nièce Johanna, entre autres, qui créa l’Élisabeth de Tannhaeuser, et Mathilde Maier. Mais celle-ci se refusa à toute entrevue avec Wagner parce qu’elle devenait sourde et cachait pudiquement cette déchéance. Le jeune comte de Gravina arriva à son tour, son mariage ayant été fixé au 25 août, double anniversaire de la naissance du roi et des noces de Wagner. Puis la foule des princes, des amis, des

  1. Nietzsche, par Lou Andréas-Salomé, p. 103 de la française ; Gasset, 1932.)