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RICHARD WAGNER


comme gonflée du calme où se complaisent l’amour et la mort. La ville des folies de Byron, des voluptés de Casanova, des désespoirs de Musset, du suicide de Léopold Robert, des adieux de Wagner à Mathilde Wasendonk. La tombe deTristan et le berceau des Maîtres Chanteurs. Il y affectionnait les cloches, l’eau sourde, Saint-Marc, les lions, symboles où l’artiste retrouvait sa vie, son œuvre, et, dans le plus archaïque des lions de l’Arsenal, le visage même de son Wotan. Il faudrait revenir à Venise dès après les représentations de Parsifal, l’automne prochain, pour y écrire des symphonies. Plus d’opéras dans cette ville théâtrale. Rien que des musiques pures, débarrassées de toute littérature. Dans ce pays sans hiver et sans été, il convenait que l’artiste entreprît sur ses vieux jours un contrepoint spirituel à l’architectonique des Doges. Certes, c’est à Venise qu’il trouverait cet équilibre où doit tendre la maîtrise des vieillards que n’empoisonne plus aucune fièvre d’espérance.

On se mit en quête d’un palais de louage pour la saison qui suivrait Parsifal ; et l’on choisit, sur le Grand Canal, le palais Vendramin.


À peine rentré à Bayreuth, Wagner y reçut la visite de Gobineau, qui se joignit à sa famille pour fêter avec l’éclat traditionnel le soixantle-neuviéme anniversaire du maître. Le roi Louis II avait envoyé à Wahnfried un couple de cygnes noirs. Mais Gobineau tomba soudain malade et Cosima crut discerner sur le visage de l’ami déjà si cher les prodromes de l’apoplexien. Il partit pour les bains de Gastein, et bientôt le vaste personnel de solistes, de choristes, de machinistes qui, sous la direction de Lévi et de Fischer, allait assurer les seize représentations de Parsifal.

Le théâtre rouvrit ses portes, closes depuis six ans. Tout s’animait sur la colline wagnérienne. Une atmosphère recueillie régnait dans ce château mystique où le moindre figurant apportait à la foi nouvelle son adhésion passionnée. Wagner lui-même se dépensait sans prévoyance en faveur de son œuvre, au milieu des sempiternelles calamités qu’étaient les rivalités entre artistes. Puis, ce fut la première déception