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ITALIAM

Le 13 janvier (de 1882), pendant le repas du soir, Wagner quitta la table pour chercher dans sa chambre un paquet volumineux. C’était sa partition. « Voici, dit-il en revenant, j’ai terminé tout à l’heure mon Parsifal. » On déboucha le champagne. Le maître joua au piano l’onverture des Fées, son premier opéra. Il y avait juste quarante-neuf ans qu’il en signait la dernière page d’un « Finis, laudetur Deus. » Aujourd’hui, il se bornait à parapher son œuvre suprême de deux initiales célèbres. La mort pouvait venir ; elle n’emporterait pointl ce qu’il avait créé durant le demi-siècle qui sépérait le séjour de Würzbourg de celui de Palerme, tout cet univers musical qu’il avait imaginé pour supporter de vivre, ce monde, enfin, « qui n’existe pas ».

Parsifal achevé, les Wagner demeurèrent encore plusieurs semaines en Sicile, dans la villa du prince Gangi, sur la route de Monreale. Leurs relations s’étaient étendues et, bien que le jeune Siegfried eût contracté une paratyphoïde, ses sœurs allaient au bal. Une fois l’enfant guéri, on offrit une matinée d’adieux à la société palermitaine avant de s’installer à Acireale, et Wagner, ce jour-là, conduisit la musique militaire. Puis la seconde fille de Cosima et de Bülow, Blandine, se fiança avec un jeune officier de la marine royale, le comte Biagio Gravina.

Chose inattendue presque dans le même temps, Hans de Bülow se fiança lui aussi avec une actrice du théâtre de Hambourg ! Ainsi tournait court une situation qui tourmentait Cosima depuis tant d’années et créait entre elle et Richard un malaise continuel. L’abandonné se décidait enfin à refaire sa vie. Appelé comme chef d’orchestre par le duc de Meiningen, il quittait Hanovre, formait une phalange orchestrale bientôt célèbre s’éffaçait graduellement de cet horizon de douleur où la passion avait si longtemps projeté son ombre agitée. Et Prospero, au pied de l’Etna s’écriait :


A solemn air and the beet comforter
To an unsettled fancy, cure thy brains

(« Qu’une musique solennelle, la meilleure des consolatrices, guérisse ton imagination inquiète… »)

Au milieu d’avril, ils partirent pour Naples, puis pour Venise, cette ville qu’entre toutes celles d’Italie Wagner préférait décidément parce qu’en plus de sa couleur elle était