tous les mêmes ! » Et comme le peintre Lenbach, chez qui
l’on se trouvait, prenait la défense de son illustre modèle :
« Laissez-moi en paix avec votre Bismarck », fit Wagner,
« s’il avait été clairvoyant, il aurait dû conclure la paix avec
les Français après Sedan. En continuant la guerre jusque
sous les murs de Paris, il a divisé les deux nations pour tout
un siècle ». Quant au roi, sans doute ne devina-t-il rien de ce
qui c’était passé chez le grand nerveux auprès duquel il
éprouvait autant de crainte que d’admiration. Rentré dans
son palais, il ouvrit son journal intime et nota : « le 12 (novembre),
après-midi, entendu deux fois le prélude admirable
et merveilleux de Parsifal, dirigé par l’auteur en personne.
Profondément significatif… J’ai toujours entendu dire qu’entre
prince et sujet aucune amitié n’est possible… » Cette pensée
demeura en suspens. Louis VI l’acheva par des mots sans
suite. Images troubles, concordances qui nous échappent, paysages
où « le clair de lune » et les « chutes » nous rappellent
que cet obsédé descendait à pas rapides la pente au bas de
laquelle il devait, cinq ans et demi plus tard, heurter enfin
la dure réalité. Certainement entrevit-il alors, dans un éclair
de lucidité, que cette réalité telle que les hommes l’acceptent
n’était qu’un esclavage ; et il opta tout d’un coup pour la
mort.
Quoi qu’il en soit, pas plus Wagner que le roi Louis n’eurent en ce jour de novembre de 1880 le pressentiment qu’ils s’étaient vus pour la dernière fois. En rentrant dans son Wahnfried, Wagner s’imaginait au contraire que les nuages accumulés depuis longtemps entre Munich et Bayreuth s’étaient dissipés complètement. Il se remit aussitôt à sa partition. Embauché comme peintre décorateur, Joukowsky fut chargé de préparer les esquisses et les maquettes de Parsifal. Le jeune compositeur Humperdinck assuma la copie du manuscrit musical au fur et à mesure de son achèvement. Et Wagner reprit son existence de vieillard, qu’il préférait maintenant à tout autre. Il prêchait Shakespeare, Beethoven, Carlyle et Parsifal ; les héros devenus dieux ; les dieux retournant sur la terre en pèlerins, en serviteurs, en cœurs purs. Car c’est ainsi seulement, pensait-il, que l’homme peut sauver ce qu’il y a en lui de divin : l’amour, la bonté, et le sens du mystère soustrait volontairement aux froides analyses de la