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ITALIAM


établir que l’homme préhistorique était végétarien, sa décadence datant de l’époque où il devint carnivore.

Au mois de juillet, ayant rassemblé ses notes, il rédigea en quelques semaines son nouveau livre, malgré une grande nervosité et quelques crises de ses douleurs de poitrine, qu’il parvenait à dominer par le seul effort de sa volonté. Félix Rubinstein, arrivé en visite à Naples, jouait le soir les dernières sonates de Beethoven. Ces séances de musique remettaient Wagner des attaques foudroyantes, mais passagères, de son mal, qu’aucun médecin ne réussissait à guérir. On lui conseilla les bains de mer, dont l’effet fut tout à fait fâcheux. Si les premiers mois de séjour à Naples avaient été bienfaisants (malgré un retour de son eczéma facial), l’été s’annonçait éprouvant. Mme Wagner se mit alors à la recherche d’un climat plus vif, et, dès le mois d’août, toute la maisonnée décampa pour s’installer, Joukowsky compris, dans la belle villa Torre Fiorentina, aux portes de Sienne.

On y jouissait d’une vue magnifique sur les collines, et Wagner couchait dans le lit du Pape Pie VI. Naples, c’était l’Afrique, mais Sienne l’Italie véritable, douceur, légèreté d’esprit, et cette tendresse amoureuse répandue sur la nature et sur les œuvres des hommess. Ainsi de la cathédrale qui domine la cité, avec ses mosaïques, ses damiers de marbres polychromes, ses têtes de papes, et surtout sa coupole immense où l’architecture a composé autour du silence et du vide le dôme de l’éternel retour. Wagner en fut tellement saisi qu’il fit aussitôt relever le dessin de cette coupole par Joukowsky, pour les décors futurs du temple du Saint-Graal. L’idée de son opéra inachevé recommença de l’habiter et il se mit à régler du papier en vue de l’instrumentation.

Puis vint Liszt, pour une dizaine de jours. L’ami avait dépassé maintenant sa soixante-dixième année, mais il semblait que l’âge n’enlevât rien ni à la vivacité ni à la sensibilité de ce vieillard infatigable, que les femmes se disputaient encore. Toujours en route entre Rome, Budapest, Weimar ou Paris, il s’accordait parfois un repos de quelques jours chez sa fille, se mettait au piano, écrivait à ses belles jalouses et repartait avec sa petite valise de virtuose ambulant. Cette fois on le traîna au dôme de Sienne, et il joua, le soir, ses Trois Sonnets de Pétrarque, la Sonate quasi una fantasia, de