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RICHARD WAGNER


l’humain et le divin), et par la religion de ta pitié. Les titres des écrits de Wagner à cette époque indiquent suffisamment la direction de sa pensée : Connais-toi toi-même (1879) ; La Religion et l’Art (1880) ; Héroïsme et Christianisme (1881).

Où va l’Allemagne ? Voulons-nous espérer ? Telles étaient bien les interrogations qu’il sentait liées au problème de son destin. Mais le nouveau Reich n’y répondait que par l’orthodoxie la plus simpliste, la plus officielle, « le credo de la caserne ». Le sens même du spirituel en tant que valeur active semblait perdu. Déjà l’Allemand ne comprenait plus que, selon le mot de Carlyle, Shakespeare était d’un plus grand prix pour la nation anglaise que toutes ses colonies ; et l’on voit assez ce que Wagner voulait dire lorsqu’il affirmait à Judith Gautier qu’il était dépourvu de tout patriotisme. Bismarck même ne lui en imposait plus. Son pangermanisme lui apparaissait comme une erreur dangereuse. Wagner se détachait de l’humanité, de cette espèce cruelle des savants, maintenant qu’il apprenait les horreurs de la vivisection, inquisition d’un nouveau genre et qui serait la honte du xixe siècle. Le monde moderne lui était de plus en plus en abomination.

Il rédigea pour les Feuillets de Bayreuth sa « Lettre ouverte à M. Ernst von Weber » (contre la vivisection). « Je ne crois pas en Dieu », y écrivait-il, « mais au divin qui s’est révélé à nous en la personne d’un Jésus sans péché. Je crois au divin qui nous a montré dans un exemple unique la voie de la rédemption, conduisant au-delà des voies humaines par la naïveté parfaite et la plus pure beauté. Cette voie mène à la mort, mais le Christ nous a donné l’exemple d’une belle mort, aboutissement d’une belle vie. »

Une belle vie, voilà ce qu’il fallait apprendre et enseigner. Non ce qui se lit dans les livres ; non les programmes stupides des écoles. Il n’enverrait certes pas son fils sur les bancs du collège, mais le ferait élever par un maître qui saurait interpréter Shakaspeare et Cervantès, qui aurait l’esprit pur, la volonté honnête, l’âme propre et assez de courage pour se battre, comme Don Quichotte, contre das moulins à vent !


Rarement le ciel gris de la Haute-Franconie avait plus lour-