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RICHARD WAGNER


sance. En vérité, non, le personnage principal de ce vitrail n’est pas le chaste Parsifal : c’est l’amour, descendu de la coupole de Monsalvat comme une présence invisible. Amfortas demeure l’enjeu de la lutte, le blessé condamné à vive : et qui unit dans son cœur gâté le satanisme du Hollandais, la douleur de Tristan et la divinité mystérieuse de Lohengrin.

Amfortas-Wagner, assurément. Et Parsifal-Louis II, celui qui ne connaît pas son nom, le vrai Fou en qui l’émotion est l’unique animateur. jusqu’au jour où il se trouvera face à face avec la réalité. L’instant où Parsifal se réveilla enfin pour vivre est celui où Louis II, placé devant la même alternative, fut brisé et courut à la rencontre de la mort. Il ne devint jamais adulte. Il ne sut incarner que le Parsifal du premier acte et ne vit point l’exemple que lui proposait de loin son maître. L’Enfant, la Femme, l’Homme, le Démon et la Nature, tels sont les cinq personnages de ce drame, dont une colombe est le cœur, suspendu sur un rayon de la divine Charité.


L’esquisse musicale de Parsifal fut achevée le 29 janvier de 1878 ; celle du deuxième acte, le 13 octobre de le même année ; celle du troisième, le 26 avril de 1879. Ses idées jaillissaient de nouveau en si grande abondance, que la difficulté principale de Wagner était de les contenir, d’en mesucar l’afflux. Elles le pressaient comme le sang pressait sa poitrine, le terrassait parfois en plein travail. Mais il ne s’inquiétait pas trop des retours plus rapprochés d’un mal dont il avait eu à Moscou le premier avertissement. Néanmoins, il était travaillé par l’idée qu’il ne fallait pas perdre de temps. Il repassait à l’encre ses ébauches, les développait, y ajoutait les syncopes fameuses, voulait que sa musique devînt vaporeuse comme un glissement de nuages. Mais il ne s’accordait que huit à dix msures neuves per jour. Il relisait Plutarque, l’Anabase de Xénophon, Shakespeare, Balzac, dans la société des siens et de quelques intimes. Parmi ceux-ci, Hans von Wolzogen tenait un rang spécial, jeune aristocrate qui venait de fonder sous l’égide du maître les Bayreuther Blaetter (Les Feuillets de Bayreuth) une revue littéraire et musicale entièrement consaccée à l’œuvre de Wagner, à ses idées, et aux affaires du Théâtre des Fêtes. Puis venit Joseph Rubinstein, le pianiste et compositeur russe, admirateur fervent des musiques