Page:Pourtalès - Wagner, histoire d'un artiste, 1948.pdf/416

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
398
RICHARD WAGNER


« charmeuses » de Klingsor, fleurs de son jardin enchanté (Tropiques !)… Elles caressent Parsifal, lui tâtent les joues, le menton, comme des enfants en jeux : viens, viens, jeune héros, beau garçon, etc. M’aimez-vous ? Je l’espère. Oh, oui ! Et si vous ne voulez pas — je vous embrasse toujours néanmoins. »

Cette musique, Wagner la composait avec lenteur, contrairement à son habitude. Peut-être son pouvoir créateur avait-il un peu faibli avec l’âge (et pourtant l’admirable Crépuscule n’était pas encore bien loin). L’amour enveloppait ses jours désormais unis et tranquilles — celui de Cosima avant tout — celui de Judith aussi, mineur, discret, utile quand même. Mais la source de son inspiration, autrefois si aisément jaillissante, avait besoin maintenant d’être sollicitée. Ce sensuel amateur d’étoffes et d’odeurs, plus que jamais flattait ses manies pour aiguiser ses sensatlions, car c’est par elles qu’il accédait au monde de l’harmonie. Et comme d’autres se servent d’alcool ou de « drogues » pour gagner la région des miracles, Wagner réclame des parfums et des soieries. Il faut que Judith lui en expédie de Paris en quantité. Il y attache la plus sérieuse attention, renouvelle constamment ses commandes, entre à leur sujet dans un détail minutieux. Et si son aventure de vieillard lui dicte encore des exclamations passionnées, le côté pratique de sa correspondance ne lui échappe jamais. La belle commissionsaire, à défaut de pouvoir lui rendre ses ardeurs, lui envoie du moins des caisses de marchandises qu’il déballe comme un amoureux recevant les gages d’une tendresse empressée.

« Vous pouvez m’écrire directement puisque j’ai prévu le cas. J’aurais voulu avoir un mot de vous, puisque je vous vois toujours, toi (?), — de ma table à écrire, me regardant (Dieu ! avec quels yeux !) quand j’écrivais des souvenirs à nos pauvres cantatrices ! Oh, ce qu’il y a de tout extraordinaire, c’est que vous êtes l’abondance de ma pauvre vie, si bien calmée et abritée depuis que j’ai Cosima. Vous êtes ma richesse, mon superflu enivrant ! » (9 décembre 1877.)

Et quinze jours plus tard : « — Arrivons au sérieux ! D’abord aux deux caisses qui ne sont pas arrivées. Eh bien, elles arriveront, et je me plongerai dans votre âme de bienfaisante… Le satin broché sera réservé ; j’incline à une commande de 30 mètres, mais peut-être on changera les couleurs pour les faire