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RICHARD WAGNER


fumé où la vieille dame travaillait aux vingt volumes de sa Théologie mystique. Le compositeur visita Saint-Pierre, le Vatican, la Chapelle Sixtine. Mais la joie des yeux lui était gâtée par l’amertume du cœur, car les nouvelles de Bayreuth restaient franchement mauvaises. Toutefois, c’est à Rome qu’il connut le comte de Gobineau, diplomate français dont l’œuvre littéraire et philosophique, introduite par Wagner et le Dr Schemann en Allemagne, allait y prendre une place éminente. La rencontre fut courtoise, mais c’est plus tard seulement, à Wahnfried, que la grand artiste et ce gentilhomme normand d’éblouissante culture devaient nouer entre eux une amitié féconde. Gobineau avait passé sa vie en Asie, en Perse, au Brésil, en Grèce et en Suède. Il se donnait pour le descendant authentique des rois Vikings. Cela excitait l’imagination de Wagner, qui se mit à lire l’un après l’autre tous ses ouvrages. « Faut-il que j’aie rencontré si tard le seul écrivain original que je connaisse », s’exclamait-il… « Je ne dévore pas les Nouvelles Asiatiques, je les savoure… J’y découvre des charmes tout nouveaux à la taigus française. »

De Rome, ils allèrent à Bologne, où une représentation de Rienzi fut donnée en l’honneur de l’auteur, à qui la municipalité venait de conférer la bourgeoisie de la cité. De Bologne, à Florence. On visita les Offices, le Palais Pitti, Fiesole, San Miniato et sa terrasse ; mais en ces lieux chers aux amants, Wagner arrivait trop tard et l’esprit chargé de soucis. Pourquoi la ville de l’Arno devait lui faire une surprise : ce fut la rencontre inopinée de Jessie Laussot, sa lointaine amie de Dresde et de Bordeaux. Toujours alerte, celle excellente musicienne, élève de Bülow, allait dans son âge mûr refaire enfin sa vie, elle aussi, en épousant le professeur Karl Hillebrand, celui dont Nietzsche a dit qu’il était « le dernier Allemand qui sût tenir une plume ».

Mais Wagner avait hâte de retrouver sa solitude et son piano. Vers Noël, il était de retour à Bayreuth, et, le 25 janvier de l’année nouvelle, 1877, déposa sur sa table de travail les ébauches anciennes de Parsifal et les pages blanches destinées à recevoir le poëme qu’il voulait écrire d’un trait. Une fois encore, une dernière fois, l’inquiétude intérieure, cette angoisse de l’avenir qui pesait si lourdemenl sur des périodes découragées de sa vie, vont pousser l’artiste vers le