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RICHARD WAGNER

Ils font ensemble une dernière promenade par une belle journée d’arrière-automne, longent le golfe, montent ensuite à travers une forêt de pins jusqu’au sommet de quelque colline. Face à la mer, le vieux maître dit enfin à mi-voix : « Paysage propice aux adieux. » Et comme pour signifier plus clairement sa pensée, il raconte le sujet de son Parsifal, en parle comme d’une expérience religieuse grave, authentique, d’une pénitence. Il ne s’agit plus d’une œuvre d’art, mais d’une bonne action, de ce geste à la fois difficile et joyeux où l’artiste s’efforce d’accorder, dans une œuvre en quelque sorte expiatoire, tout un long passé souillé de tentations, avec un avenir purifié par le Sauveur. Au sommet de son édifice musical, sur la coupole de Montsalvat, il veut placer la croix du Christ. Non que l’athée soit subitement devenu un croyant. Non qu’il ait fait en son cœur le parcours douloureux du chrétien converti. L’âme du magicien ne pouvait avoir été exorcisée d’un seul coup par la lance de Parsifal. Mais elle n’exigeait plus rien de la vie, cette âme. Elle faisait face à la mort. Il lui manquait seulement cette parure de bonté, de pitié, ce rustique parfum de naïveté dont d’artistes ont rêvé comme d’une grâce suprême pour se présenter devant la postérité.

Wagner n’a pas la foi. Mais il a le sentiment profond de son péché, du péché originel, cet héritage de douleur qui est comme l’amande amère et savoureuse du fruit vital, la moelle secrète qui donne à l’homme son expression et sa poésie. C’est d’elle qu’il tire sa magie, son pouvoir, ses conjurations et son mystère. Les plongées successives de Wagner dans les voluptés, suivies de retraites au cœur de la forêt désarmée par Siegfried, ont créé en lui une mystique chevaleresque où il se rêve une dernière fois sous les traits candides de Parsifal? Ce « fol » de Dieu, cet enfant désigné pour guérir la purulente blessure de la concupiscence, tel est le Christ humain dont il veut instituer, avant de mourir, le sacerdoce libéra­teur.

Or, c’est précisément ce que le Nietzsche de Sorrente, le Nietzsche nouveau-né et délivré, déteste en son vieux maître. Cette religion « rédemptrice » est encore une forme du vieux culte dec la souffrance proclamé par le royal martyr des Juifs. Elle n’est pas pure, mais pillée de toutes mains aux plus