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PARSIFAL CHEZ LES FILLES-FLEURS


temps redoutée. Les Wagner remirent leurs affaires entre les mains du banquier Feustel et celles de son gendre Adolphe Gross, puis ils partirent pour l’Italie, visitèrent successivement Vérone, Venise, Naples, pour séjourner plus longuement à Sorrente.

Malwida de Meysenbug y avait justement loué la villa Rubinacci, où elle hébergeait quelques amis en quête de solitude. Parmi eux se trouvait Nietzsche, fort souffrant des yeux et de la tête, mais laborieux quand même, et riche d’idées, à son habitude. Il travaillait à un livre nouveau, celui qu’il intitula plus tard Humain, trop humain, « monument commémoratif d’une crise… » « En l’écrivant, je me suis débarrassé de tout ce qu’il y en moi d’étranger à ma vraie nature. Tout idéalisme m’est étranger. Le titre de cet ouvrage veut dire : là où vous voyez des choses idéales, moi je vois des choses humaines, hélas, trop humaines ! » C’est-à-dire le nouveau génie de la musique que vous fêtez n’est qu’un histrion orgueilleux et dangereux ; il importe que l’humanité s’en débarrasse au plus vite si elle ne veut pas se laisser inoculer par ce docteur maléfique des toxines plus nocives encore que celles de l’humilité chrétienne, de la pitié et de la souffrance soi-disant nécessaire, dont elle agonise depuis des slècles. Faiblesse que tout cela, illusion périlleuse. Ces prédicateurs de la mort sont des phtisiques de l’âme. C’est leur débilité qu’ils encensent et dont ils se font une vertu. Tous les mythes wagnériens aboutissent, en somme, à la vieille chimère égalitaire du révolté de 1848. Les hiérarchies risquent de se perdre, le « parsifalisme » de se répandre sur le monde comme un affreux nivellement des âmes, la volonté de puissance de s’affaiblir puis de se décomposer devant l’attirance du renoncement.

Voilà ce que Nietzsche aperçoit durant ces premières semaines de recueillement. Et dans le même moment Wagner arrive à Sorrente, s’installe à l’hôtel Victoria. Musicien et philosophe se rencontrent. Mais Wagner a flairé ce que son disciple dérormais lui reproche. Ils se parlent à peine, ne s’interrogent plus, devinent que sept ans de confidences et de malentendus masqués les ont amenés jusqu’aux conftins de l’amitié. Elle n’est plus possible aujourd’hui. L’heure de la séparation est venue.