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PARSIFAL CHEZ LES FILLES-FLEURS


l’âge, ni devant la femme. Il n’ironise pas sur soi-même. Et comment l’aurait-il pu au moment d’écrire Parsifal ? Wagner a conservé intacts son esprit de conquête et ses instincts du domination. Cette Judith Gautier, demi-poétesse et fille de poëte attirée par son génie, allait lui donner l’accès de fièvre dont il avait besoin pour créer sa Kundry. Cavale brûlante abattue aux pieds de Parsifsl, Kundry est le mythe de la femme asservie au poète, de la pécheresse vaincue par le divin amour. Et Nietzsche aura beau rire de la naïveté grande, Kundry et Parsifal ne sont pas moins émouvants que Zarathoustra.

Aussi n’hésiterai-je pas d’associer au dernier poëme musical de Wagner cette suprême camarade, cette ultime palpitation de son désir, cette silhouette clandestine penchée sur lui alors qu’il écoute déjà les appels de Monsalvat. Judith, comme il l’a écrit, est « l’abondance » où il puise, son « superflu enivrant ». Non que Cosima ait cessé de le rendre heureux. Au contraire, Wagner n’a jamais mieux joui de sa famille et de sa tranquillité qu’au temps où il compose les harmonies du Graal. Mais les vrais amateurs d’amour sont toujours avides de ces communions intimes où ils espèrent retrouver l’image d’eux-mêmes secrètement préférée. Il importe peu, du reste, qu’il y ait correspondance entre de tels sentiments et l’œuvre en gestation. L’artiste travaille pour une bonne part en état d’inconscience, et Wagner plus que tout autre, bien qu’il l’ignore. Son instinct vital le conduit avec tant d’impétuosité qu’il la confond avec sa pensée. Et souvent il croit commander où il ne fait qu’obéir. Mais ce qui importe, c’est que nous ne méconnaissions pas ses sources. Judith n’a certainement pas atteint Wagner dans ses profondeurs ; toutefois elle a déterminé en lui un courant poétique, une dernière montée de sève. Elle a personnifié un instant cet impossible qui le travaillait depuis son adolescence comme un soleil voilé vers lequel se tendaient sans fatigue ses branches, maintenant presque dépouillées. Fut-elle Kundry ? Fut-elle Klingsor ? Ou une fille-fleur de son jardin occulte ? Ou simplement une belle matinée encadrant le vendredi-saint d’un de ces prêtres laïques que sont tous les artistes ? On ne sait. Mais l’érotique de Wagner a certainement trouvé en elle ses suprêmes élans.

Jenny Raymann les avait éveillés un demi-siècle plus tôt