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L’INCENDIAIRE DU WALHALLA


imprévisibles : la maladie de l’un ou de l’autre, les malentendus, les insuffisances, les vanités blessées, les retards des fabricants de machines. Toujours les mêmes difficultés, comme au temps de La Défense d’aimer et de Rienzi. Et le vieil expert restait seul à pouvoir y remédier, car seul il connaissait tous les rouages du mécanisme dont chaque pièce avait été ajustée par ses soins. Mais la machine était tout de même en ordre de marche. Elle marcha.

Alors on vit arriver comme à Munich pour Tristan et les Maîtres, les amis personnels : la comtesse de Schleinitz, cheville ouvrière des finances de Bayreuth ; Malwida de Meysenbug et son ancienne élève, la fille du révolutionnaire Hertzen, devenue Mme Gabriel Monod ; Édouard Schuré, Frédéric Nietzsche. Et si Bülow restait absent (il se trouvait fort malade à Godesberg, sur le Rhin), du moins Liszt vint-il cette fois. Et la présence de son vieil ami fut pour Wagner une grande satisfaction. Même les Wesendonk parurent, pour assister enfin au triomphe de leur ami d’autrefois. Et les Wille. Et Sulzer. Et Mathilde Maier aussi, celle dont il eut tant aimé à faire son intendante à Vienne. Et Pecht, le peintre qui avait partagé la misère parisienne de 1840. Et Pusinelli qui reçut le dernier soupir de Minna. C’était un rendez-vous de toutes les amours, de toutes les amitiés, de toutes les camaraderies d’autrefois. Nietzsche seul était sombre, indéchiffrable. « En présence de Richard Wagner», raconte Schuré. « il était timide, gêné presque toujours soucieux ». Peu de jours auparavant, cependant il avait envoyé à Wahnfried sa fameuse brochure sur Richard Wagner à Bayreuth, dernier témoignage des sept années d’admiration qu’il avait vouées à celui qui fut jusqu’à ce jour son guide. Mais le plus pur des disciples venait de renier en esprit son maître, et l’homme qui se tenait immobile et sans parler dans l’ombre de Wagner n’attendait que l’instant de proclamer sa délivrance.

Dans la nuit du 5 au 6 août vers 1 heure du matin, un train formé de deux wagons s’arrêta à une lieue de Bayreuth, en pleine campagne. C’était le train royal. Un homrne de très haute taille en descendit et se porta vivement à la rencontre de Wagner qui l’attendait en habit et cravate blanche. Ils avaient tenu à être seuls en face l’un de l’autre pour ce premier revoir, après huit années de séparation. Sans mot dire,