posait en changeant chaque fois de forme, prêtait à ces
voix diverses l’accent tendre, ou sarcastique, ou amoureux,
ou haineux, ou léger, de sa propre tragédie. Et il gardait de
bizarres exigences envers ses artistes, au sujet de leur beauté,
de leur plastique, de leur manière d’être, d’agir, de penser.
Il voulait qu’ils transportassent dans leur vie de tous les
jours les sentiments et la courtoisie de leurs rôles, la grandeur
ou la subtilité le leurs caractères, leur naïveté, leur fierté
ou leur duplicité. Presque jamais il ne se déclarait content,
car il voyait l’âme à travers le costume ou dans le geste, et
eux ne la voyaient pas, enfermés qu’ils étaient en eux-mêmes,
malgré le masque. Mais le petit homme sous sa lampe à
pétrole les transperçait tous. Il arrêtait l’orchestre, expliquait,
chantait, forçait ses interprètes à oublier qu’ils étaient célèbres,
qu’ils s’appelaient Unger, Niemann, Hill, Mme Materna
ou Lilly Lehmann, pour les obliger à devenir vraiment Brunhilde,
Sieglinde, Wotan, Albéric, Siegmund et Siegfried ; les
rendait capables de haïr, de convoiter, d’aimer, leur créait de
nouvelles âmes toutes chaudes des passions qu’il avait éprouvée ».
Je ne sais quel écrivain français contemporain a dit que la musique le Wagier est typiquement de celles « qu’il faut écouter la tête dans les mains ». Cette appréciation me laisse supposer que l’auteur de ce mot n’u jamais entendu un opéra wagnérien. Car le propre le cette musique est justement qu’on l’écoute avec son corps tout entier, avec la tête, certainement, mais avec le cœur aussi, et le ventre, et pour ainsi dire avec les yeux et les mains, comme on s’offre à une tempête. Elle n’est jamais touffe de myosotis ou problème harmonique. Ce qu’elle brasse en nous de violences et de désirs enivre comme un vin fort. C’est un torrent qui submerge et contre lequel la lutte est impossible. Il faut fuir ou se laisser emporter. On se moque bien que cette musique soit optimiste ou pessimiste, vulgaire ou distinguée, décadente ou littéraire. et qu’il la faille écouter la tête dans les mains ! La vérité est que les cris de Marsyas dans sa forêt remplissent d’effroi les innombrables petits joueurs de flûle. Et ils continuent encore aujourd’hui à détaler quand ils entendent la foulée du satyre. Car il est terriblement puissant, ce vieux promeneur solitaire du col de la Formazza du Bois de Boulogne et des