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L’INCENDIAIRE DU WALHALLA

Aussi bien ne compte-t-on plus que sur les artistes et les amis pour l’achèvement du Festspielhaus, car les pouvoirs publics ne s’y intéressent pas et les amateurs de musique à peine. Une souscription nationale, ouverte dans quatre mille librairies allemandes, fournit six thalers (environ vingt marks). Le prince de Bismarck, directement sollicité par une lettre de Wagner, ne lui répondit même pas. Et Louis II, tout occupé de ses châteaux, de ses représentations privées, de ses favoris nouveaux, refusa net de signer la garantie qui eût permis de poursuivre les travaux. « La rosée de milliards » qui suivit la paix de Francfort ayant provoqué un développement anormal des affaires et créé dans les pays germaniques des besoins insoupçonnés, un krach général vint effondrer cette fausse richesse. Le Festspielhaus sembla pendant quelque temps voué à une faillite certaine.

Wagner se rendit en désespoir de cause à Munich, où il espérait en dernier recours on ne sait quel revirement d’humeur chez Sa Majesté. Il y apprit ses récentes lubies : le roi ne sortait presque plus de sa chambre, ne se levait jamais avant le soir, na prenait conseil que de son cocher en chef Hornig, et ne recevait plus aucun de ses anciens amis. Tout espoir paraissait donc évanoui de ce côté lorsque subitement Louis II se ravisa et, le 15 janvier de 1874, écrivit à Wagner : « Non, non et encore non. Cela ne doit pas finir ainsi. Il faut aller à votre secours. » Et ce ne fut pas une vaine promesse cette fois. Le trésor royal ouvrit l’administration bayreuthienne un crédit de 300.000 marks. Toutefois ce n’était pas un cadeau, mais une avance sur les souscriptions futures et il fut bien entendu que Sa Majesté demeurerait seule propriétaire de tout l’actif de l’entreprise. Wagner et son comité acceptèrent d’enthousiasme, car la foi leur était rendue. Les maçons purent reprendre la truelle et Wagner emménagea enfin dans son Wahnfried.

C’est un grand cube à la romaine. Dans le hall d’entrée, dressé sur deux étages, se font face sur deux colonnes de marbre le buste du maître et celui de sa femme. Au-dessus d’eux court une frise qui montre tous les héros de la mythologie wagnérienne. À gauche, le salon de Cosima rassemble ses souvenirs personnels, les portraits da famille, les portraits du Roi, l’aquarelle de Semper pour le théâtre-modèle muni-