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RICHARD WAGNER


chrétienne, me sentir chrétienne, être confirmée comme telle. Et cela m’est accordé. Il a été presque plus important pour moi de m’approcher de la table de communion avec Richard que de l’accompagner devant l’autel nuptial… Tout est grâce, grâce du Ciel, grâce de l’amour. » Ainsi s’exprimait du profond de son cœur, la fille admirable et terrible de Liszt.


Avant d’atteindre ses quarante ans, cette femme tôt mûrie renonce à tout ce qui n’est pas strictement sa charge. Secrétaire générale de l’administration bayreuthienne, et mère de six enfants (les cinq petits et Richard), tels sont les deux rôles qu’elle assume désormais. Cette aristocrate a bien plus que son mari le goût de l’ordre, des hiérarchies et du gouvernement. Et s’il y a en elle quelque chose d’implacable, c’est une ambition farouche qu’elle met au service de l’artiste dont elle connaît à fond la force et les maladresses. Tous ses actes y seront dorénavant subordonnés. Et même ses affections. Son filial attachement à Liszt, par exemple, subit plusieurs éclipses au cours de ces années, parce que le vieux virtuose est trop indépendant, trop français de cœur et d’idées, trop peu bismarckien à son gré. Ses dernières œuvres, le Christus entre autres, ont cet accent « latin-roman » qui est si étranger à Wagner et lui donne un malaise qu’il ne sait pas cacher. Cosima l’éprouve comme lui, et en souffre. Mais Liszt, dans son ingénuité, n’entend aucune de leurs critiques. Il revient à Bayreuth, y séjourne, s’acclimate, assiste aux petites cérémonies qui s’y déroulent pour fêter les diverses étapes de la construction du théâtre et de Wahnfrled. Il songe même à s’y établir, lui qui ne possède plus rien et n’a d’installation fixe ni à Rome, ni à Pesth, ni à Weimar. Il offre à sa fille l’un de ses derniers trésors, la cassette dans laquelle il conserve les partitions manuscrites du Vaisseau Fantôme, de Tannhaeuser et de Lohengrin, reçues en présent de Wagner vingt ans auparavant. Mais Liszt est lui aussi un voyageur ; un voyageur sans exigences et qui, contrairement au Hollandais Volant, a sa patrie partout. La vie errante qu’il a toujours menée est la seule qui lui convienne, aussi ne l’aperçoit-on guère qu’entre deux tournées de concerts. Et il en donne maintenant, comme Bülow au profit de Bayreuth.