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RICHARD WAGNER


ne se reposait point. On le voit continuellement en mouvement durant ces années de préparation bayreuthienne. Il écrit son essai sur Acteurs et Chanteurs. Il entreprend tournée sur tournée, allant de Mannheim à Francfort, de Strasbourg à Darmstadt, de Cologne à Hanovre, à Magdebourg, à Berlin, en tout lieu où sa musique est jouée et où il pense trouver ses futurs interprètes, ses décorateurs, ses machinistes. Il inspecte, agit, choisit, écrit, rassemble une documentation précise pour les archives de Bayreuth. Il renoue même les liens distendus avec le roi Louis II et Liszt, afin de les ramener peu à peu vers lui.

Et Liszt lui revient le premier. Le 15 octobre de 1872, il arrive enfin à Bayreuth, dans l’appartement que les Wagner occupent pendant que l’on construit Wahnfried. Après tant d’années de séparation, la famille de Wagner devient, ou plutôt redevient la sienne. Mais comment l’abbé n’eût-il pas laissé son cœur se réconcilier avec ceux qu’il aime, malgré les lointaines jalousies et le ressentiment de la vieille princesse Carolyne ? La vraie grandeur de Liszt fut toujours sa bonté. « Cosima est bien ma terrible fille, comme je l’appelais autrefois ; une femme extraordinaire et de haut mérite, fort au-dessus des jugements vulgaires, et parfaitement digne des sentiments admiratifs qu’elle inspire à ceux qui la connaissent — à commencer par son premier mari Bülow », écrit-il à la recluse de Rome. « Les fondations du nouveau Théâtre des Nibelungen commencent à monter. L’extraordinaire de cette entreprise la fera probablement réussir — en dépit des gloses, critiques, difficultés et commérages. Wagner vit très retiré. Jeudi soir, il s’est pourtant décidé à inviter exceptionnellement une douzaine de personnes… Les autres jours et soirs, nous sommes restés complètement seuls à trois. Les cinq enfants sont parfaitement élevés et singulièrement charmants. Cosima se surpasse. Que d’autres la jugent et la condamnent — pour moi, elle reste une âme digne du granperdono de Saint-François et admirablement ma fille. »

Wagner fait la lecture de l’esquisse du Parsifal, qui bouleverse l’abbé Liszt, lequel ne sait exprimer autrement son émotion qu’en se mettant au clavier pour jouer des fugues de Bach et Tristan. Sa fille le trouve néanmoins bien vieilli, fatigué, triste. Il a des angoisses, un sourd besoin de fuite. Et comme