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RICHARD WAGNER


qui le dépouille de son mystère. Or, les années que Wagner a encore à vivre, il les donnera à Bayreuth. L’histoire du triomphe final de ses idées et de sa musique pourrait donc être résumée, semble-t-il, en quelques pages. Mais un tel homme n’était pas marqué pour jouir sans encombre des honneurs de la vieillesse. Et il ne fait pas croire que le dernier fragment de sa vie n’ait été qu’une apothéose. Jamais Wagner n’a entièrement savouré cet hommage direct qui se nomme la réussite, parce qu’une telle réussite était chez lui chose impossible.

« Sa folie n’était pas de la tête, mais du cœur », dit Byron dans Lara.

« In him inexplicably mixed appeared
« much to be loved and hated, sought and feared. »

Mais était-elle donc du cœur, la folie de Wagner ? Est-il bien sûr qu’il ait eu du cœur ? S’il en a eu, est-il reconnaissable, et surtout est-il jamais déterminant dans cette existence apparemment toute gouvernée par ls tête ? Pour l’apprécier, ce « cœur », il faut avant tout accepter de ne pas le trouver à l’état pur, élémentaire, naïf, mais le reconnaître dans les alliages qui le composent. Or, cette masse parasite intégrée à lui, quoique d’une autre nature, elle le vaut, lui donne sa couleur et son poids. Combinée avec le cœur, elle détermine son magnétisme, l’habite comme une force supplémentaire. Qu’on y distingue l’ambition, la bonté, la volonté, ls spontanéité, l’égoïsme, l’absence de scrupules, ces mélanges de « ce que l’on aime et de ce que l’on hait, de ce que l’on cherche et de ce que l’on craint, » comme le dit Byron, peu importe. La solidité et la santé du cœur de Wagner sont peut-être justement cause qu’il ne négligea jamais, au fort même de ses créations, leur rendement pratique ; qu’il ne sut pas aimer sans exiger, en retour, des sacrifices ; que sa sensibilité comme son pouvoir constructif ne rêvaient rien dans les nuages, mais bâtissaient sur la terre. Ce grand spéculateur est un réalisateur ; ce philosophe un homme d’affaires ; cet amant, un époux. Ses buts sont ceux d’un chef d’entreprise. Il pèse ses chances, discute les devis, et, une fois sa résolution prise, cet amateur de logique aventure toutes ses chances sur une carte qui lui apparaît infaillible. Ls gloire, il s’en moque, comme il l’a dit cent fois. Mais il