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CHAPITRE PREMIER

L’INCENDIAIRE DU WALHALLA


S’il est satisfaisant pour l’esprit — et je dirais volontiers flatteur pour le cœur — de voir avancer l’homme dont on a suivi pas à pas le développement, les batailles, la rude épopée sociale au travers d’abord des bas quartiers de la faim, puis du confort bourgeois avec tout ce qu’il comporte de duretés, enfin de ces régions privilégiées où le génie est accueilli comme une diversion à l’ennui et l’œuvre d’un grand artiste comme un luxe de parade ; s’il est instructif de regarder ce vivant obstiné franchir successivement les zones brouillardeuses de l’indifférence pour atteindre à ces hauteurs où il trouvera le paysage, l’air, le repos qu’il cherchait, et surtout cet équilibre neuf, cette sorte de rapport idéal qu’il avait imaginé entre lui-même et le monde ; s’il y a en somme du plaisir à penser que tant de peines n’auront pas été prises en vain puisque le voyageur est parvenu à son but et que nous pouvons mesurer maintenant — avec une lorgnette longue de soixante années — le chemin qu’il a parcouru ; il n’en demeure pas moins en nous une inquiétude, non quant à la valeur de son entreprise, mais, dès lors que nous savons repérée la route jalonnée par ses œuvres et ses sueurs, une anxiété à la pensée qu’il ne nous reste désormais plus rien à découvrir, à admirer ou à craindre en lui. Notre intérêt pour un être qui touche à l’accomplissement total de soi-même menace de disparaître d’un seul coup sous l’éclairage brutal